En cette année 2024, un événement historique se prépare. Trente survivants japonais de la bombe atomique, membres de l’association Nihon Hidankyo, s’apprêtent à faire le voyage jusqu’à Oslo pour recevoir le prestigieux prix Nobel de la paix. Un symbole fort, près de 80 ans après les tragédies d’Hiroshima et Nagasaki.
Leur participation à la cérémonie du 10 décembre a été rendue possible grâce à une vague de solidarité sans précédent. En effet, une campagne de financement participatif lancée par l’association a permis de récolter plus de 36 millions de yens, soit près de 230 000 euros. Une somme qui couvrira les frais de déplacement de ces rescapés, aujourd’hui âgés de 78 à 92 ans.
Des destins bouleversants, un message universel
Parmi les membres de la délégation, deux témoins directs des horreurs nucléaires. Jiro Hamasumi, 78 ans, était encore dans le ventre de sa mère lors de l’explosion à Hiroshima le 6 août 1945. Son père fait partie des 140 000 victimes. Quant à Terumi Tanaka, 92 ans, il a subi enfant le bombardement de Nagasaki trois jours plus tard, qui a fait 74 000 morts.
Pour Jiro Hamasumi, ce voyage est l’occasion de partager son expérience unique, dans l’espoir que « l’arme atomique ne soit plus jamais utilisée ». Un vœu partagé par tous les « hibakusha », terme japonais désignant les personnes affectées par les bombes.
Un combat de toute une vie
Depuis la création de leur association Nihon Hidankyo en 1956, les hibakusha n’ont eu de cesse de militer pour un monde sans armes nucléaires. Leurs témoignages poignants ont marqué les esprits à travers le globe. En 2020, on dénombrait encore environ 136 700 survivants, mais leur nombre décline inexorablement.
Chaque histoire de hibakusha est un rappel vibrant des conséquences indicibles de l’arme atomique sur les populations civiles.
Kazumi Matsui, maire d’Hiroshima
Un Nobel hautement symbolique
En attribuant le Nobel de la paix 2024 à Nihon Hidankyo, le comité norvégien a voulu saluer « ses efforts en vue d’un monde sans armes nucléaires » et « démontrer via ses témoignages que l’arme nucléaire ne doit plus jamais être utilisée ». Un choix d’autant plus significatif dans le contexte géopolitique tendu actuel.
En effet, la menace nucléaire est revenue sur le devant de la scène avec le conflit en Ukraine. La Russie a évoqué à plusieurs reprises la possibilité d’utiliser son arsenal atomique, ravivant les pires craintes de la communauté internationale.
Un appel à la raison
Face à ces tensions, la voix des hibakusha résonne comme un appel à la raison. Eux qui ont vécu l’enfer des bombardements et en portent encore les stigmates, physiques et psychologiques, incarnent mieux que quiconque l’impératif du désarmement nucléaire.
Tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, le risque de revivre les tragédies d’Hiroshima et Nagasaki existera. Nous devons tout faire pour empêcher cela.
Terumi Tanaka, hibakusha de Nagasaki
Leur périple jusqu’à Oslo s’annonce donc comme un moment suspendu, où le monde entier sera invité à se remémorer les horreurs du passé pour mieux construire un avenir de paix. Un message qui, 78 ans après Hiroshima et Nagasaki, n’a rien perdu de son urgence et de son universalité.
Espérons que la sagesse et le courage des hibakusha réussiront à toucher les cœurs et les consciences, y compris ceux des dirigeants les plus enclins à jouer avec le feu nucléaire. Car c’est bien l’avenir de l’humanité tout entière qui est en jeu.
Un moment de communion et d’émotion
La cérémonie du 10 décembre à Oslo promet en tout cas d’être un moment intense et poignant. Dans la majestueux Hôtel de ville de la capitale norvégienne, les trente représentants de Nihon Hidankyo monteront sur scène pour recevoir le diplôme et la médaille du Nobel des mains de la présidente du comité.
Nul doute que des larmes seront versées à cette occasion. Des larmes de tristesse en mémoire de toutes les vies fauchées par la folie nucléaire. Mais aussi des larmes de gratitude et d’espoir, car ce Nobel vient récompenser le combat de toute une vie et offrir une tribune mondiale à leur message.
Ce prix est une immense reconnaissance pour tous les hibakusha. Mais c’est surtout un encouragement à poursuivre notre lutte, pour que les générations futures n’aient plus jamais à connaître l’horreur que nous avons vécue.
Jiro Hamasumi, hibakusha d’Hiroshima
Un relais pour les nouvelles générations
Au-delà de l’émotion, cette cérémonie sera aussi un moment de passation. Les hibakusha, dont l’âge moyen dépasse désormais 83 ans, sont les derniers témoins directs des bombardements. Ils savent que le temps leur est compté pour transmettre leur vécu et leurs convictions.
C’est pourquoi plusieurs d’entre eux seront accompagnés à Oslo par des membres plus jeunes de l’association, notamment des petits-enfants de survivants. Cette nouvelle génération aura la lourde tâche de poursuivre le travail de mémoire et de plaidoyer quand les hibakusha ne seront plus là.
Nous sommes la dernière génération à pouvoir entendre directement les témoignages des hibakusha. Il est de notre devoir de recueillir leurs paroles et de les faire vivre, pour que jamais on n’oublie la tragédie atomique.
Maki Hasegawa, petite-fille de hibakusha
Un passage de relais d’autant plus crucial que le Japon reste le seul pays à avoir subi des attaques nucléaires. Cette expérience terrible et unique confère aux hibakusha et à leurs descendants une responsabilité particulière : celle d’être la conscience atomique du monde.
Une lueur d’espoir
Alors que les tensions géopolitiques font resurgir le spectre du champignon atomique, le Nobel des hibakusha se veut un rayon de lumière dans la nuit nucléaire. Un rappel que l’humanité a le choix, et le devoir, de conjurer la menace de sa propre destruction.
Le voyage des trente survivants à Oslo sera sans nul doute éprouvant, physiquement et émotionnellement. Mais tous sont animés par une même conviction : celle que leur histoire et leur combat peuvent changer le cours des choses.
Si notre témoignage peut faire réfléchir ne serait-ce qu’une personne, lui faire prendre conscience de l’urgence du désarmement nucléaire, alors nous n’aurons pas souffert en vain.
Setsuko Thurlow, hibakusha d’Hiroshima
Le 10 décembre à Oslo, c’est donc un message d’espoir autant que de vigilance qui sera délivré au monde. Un message porté par des femmes et des hommes qui ont connu l’enfer, et qui dédient leurs dernières forces à empêcher qu’il ne se déchaîne à nouveau.
Puisse leur voix être entendue, et leur exemple inspirer les décideurs et les citoyens du monde entier. Car c’est en regardant en face les horreurs du passé que l’on peut construire un avenir meilleur. Un avenir où plus jamais une ville ne connaîtrait le sort d’Hiroshima et Nagasaki.