60 ans après son indépendance, l’Algérie demeure sous l’emprise d’une dictature militaire qui semble presque immuable. Le principal objectif de l’oligarchie au pouvoir ? Durer, coûte que coûte, en muselant toute voix dissidente comme celle de l’écrivain Boualem Sansal, récemment incarcéré pour ses prises de position critiques.
Une dictature militaire enracinée depuis 1962
Dès les lendemains de l’indépendance acquise en 1962, l’Algérie sombre dans le chaos. Entre les attentats sanglants de l’OAS et la lutte féroce pour le pouvoir que se livrent les nouvelles autorités, l’armée s’impose rapidement comme la colonne vertébrale du régime. Elle place ses hommes aux postes clés et instaure un système opaque où le pouvoir réel, occulte, tire les ficelles en coulisses.
Certes, des présidents se succèdent : Ahmed Ben Bella de 1963 à 1965, Houari Boumédiène jusqu’en 1978, puis Chadli Bendjedid, Liamine Zéroual, Abdelaziz Bouteflika et enfin Abdelmadjid Tebboune depuis 2019. Mais l’essentiel du pouvoir reste entre les mains des militaires qui adoubent et renversent les dirigeants selon les circonstances et leurs intérêts.
Oppression de toute contestation
Cette dictature ne tolère aucune remise en question. Toute velléité de contestation est sévèrement réprimée, tout opposant politique susceptible de remettre en cause le système est neutralisé. Le cas de Boualem Sansal, écrivain et intellectuel algérien courageux, en est l’illustration récente la plus marquante.
Ses prises de position critiques envers le régime et son interprétation de certains épisodes de l’histoire officielle algérienne, notamment sur la délimitation des frontières, lui valent aujourd’hui d’être incarcéré et poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Son sort est emblématique de la chape de plomb qui étouffe la société civile algérienne.
Captation des richesses nationales
Au-delà du verrouillage politique, le régime s’assure aussi la mainmise sur les immenses ressources économiques du pays, au premier rang desquelles les hydrocarbures. L’exploitation du gaz et du pétrole, nationalisés dès les années 1970, permet d’engranger une rente colossale, mais celle-ci est accaparée par le cercle restreint du pouvoir et ne profite guère au développement du pays et au bien-être de la population.
Loin d’être investis dans les infrastructures, l’éducation ou la santé, les pétrodollars servent surtout à conforter l’assise de la dictature, par un savant mélange de clientélisme, de redistribution ciblée et d’enrichissement personnel des dirigeants, tandis que le chômage et la pauvreté restent le lot commun de la majorité des Algériens.
L’armée, colonne vertébrale du régime
Dans ce système, l’armée joue un rôle central. Gardienne autoproclamée de la stabilité et de l’unité nationale, elle est en réalité la clé de voûte d’un édifice politique sclérosé et d’un système économique rentier et prédateur. Loin de se cantonner aux questions de défense, elle est le véritable centre névralgique du pouvoir.
L’armée intervient dans tous les domaines. Si au début, elle se contentait de mettre et démettre les présidents, elle cumule aujourd’hui tous les pouvoirs.
Lahouari Addi, Sociologue, spécialiste de l’Algérie
Présente dans les entreprises stratégiques, influente dans les médias, incontournable sur la scène politique, la Grande muette algérienne parle en réalité d’une voix forte pour défendre ses intérêts. Et gare à ceux qui oseraient la défier ou remettre en cause ses privilèges…
Des velléités de changement vite étouffées
Certes, des voix s’élèvent régulièrement au sein de la société civile pour appeler à plus de démocratie et de transparence. Le mouvement du Hirak, en 2019, a pu un temps laisser espérer un changement. Mais ces soubresauts protestataires sont vite étouffés, leurs leaders emprisonnés, et le régime, un instant ébranlé, retrouve vite ses réflexes autoritaires.
Car pour l’oligarchie militaro-économique qui tient le pays, l’essentiel est de durer, de conserver ses rentes de situation et ses prébendes, au mépris des aspirations de la population. Tous les moyens sont bons pour cela : répression des dissidents, instrumentalisation des subventions, ou encore surenchère nationaliste et attaques verbales contre l’ancien colonisateur français.
L’impasse du système algérien
Mais cette fuite en avant a ses limites. À trop tirer sur la corde du ressentiment et de l’autoritarisme, le régime algérien risque de se couper toujours plus de sa jeunesse et de ses forces vives, tentées par l’exil ou le désespoir. Sans parler des défis économiques d’un modèle rentier à bout de souffle, incapable de créer des emplois et de la valeur en dehors de la manne des hydrocarbures.
L’avenir de l’Algérie ne peut se construire durablement sur le déni, la férule sécuritaire et l’accaparement des richesses par une caste. 60 ans après une indépendance arrachée de haute lutte, le pays a plus que jamais besoin d’un nouveau souffle démocratique, d’une gouvernance responsable et d’un véritable projet de société. Mais cela ne pourra se faire sans un difficile examen de conscience du système algérien sur ses propres démons et contradictions.