La justice internationale vient de frapper un grand coup dans l’épineux dossier des crimes de guerre perpétrés pendant le conflit kosovar de 1998-1999. Vendredi, un tribunal spécial siégeant à La Haye a en effet condamné Pjeter Shala, un ancien commandant rebelle de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), à verser plus de 200 000 euros de dommages et intérêts à ses victimes. Une décision qui marque un tournant majeur dans la reconnaissance des souffrances endurées par les civils kosovars aux mains des belligérants.
18 ans de prison pour des crimes atroces
Pjeter Shala, 61 ans, également connu sous le nom de code « Commandant Wolf », purge actuellement une peine de 18 ans de réclusion prononcée en juillet dernier par ce même tribunal pour des crimes de guerre commis pendant la lutte pour l’indépendance du Kosovo. Les juges l’ont reconnu coupable de détention arbitraire, de traitements cruels et de meurtre à l’encontre d’au moins 18 civils soupçonnés d’espionnage ou de collaboration avec les forces serbes loyales à Slobodan Milosevic.
Selon les éléments à charge, l’ancien commandant rebelle faisait partie d’un groupe de soldats de l’UCK basé à Kukes, dans le nord-est de l’Albanie, qui a gravement maltraité des détenus dans une usine métallurgique servant de QG aux indépendantistes albanais. Des actes d’une cruauté inouïe qui ont profondément marqué les survivants et les familles des disparus.
Un préjudice chiffré à 208 000 euros
Pour réparer le préjudice subi par les victimes, la juge Mappie Veldt-Foglia a donc ordonné à Pjeter Shala de leur verser un total de 208 000 euros de dommages et intérêts. Des sommes allant de 8 000 à 100 000 euros par personne, ainsi qu’une indemnité collective de 50 000 euros. Un jugement historique qui reconnaît enfin la souffrance endurée par ces civils pris entre deux feux.
« M. Shala est condamné à payer, en compensation du préjudice infligé », a déclaré la juge en rendant sa décision.
Un tribunal spécial pour juger les crimes de l’UCK
Le tribunal spécial pour le Kosovo, financé par l’Union européenne, est une instance de droit kosovar composée de juges internationaux. Sa mission : enquêter sur les crimes commis par l’UCK pendant et après le conflit qui a déchiré cette ex-province yougoslave à la fin des années 1990.
Des affrontements sanglants qui ont fait 13 000 morts, et qui ne se sont achevés qu’avec le retrait des forces de Milosevic suite à une campagne de bombardements de l’OTAN pendant 11 semaines. Depuis, la petite république autoproclamée tente de panser ses plaies et d’édifier un État de droit, avec l’aide de la communauté internationale.
D’autres hauts responsables dans le viseur de la justice
L’affaire Pjeter Shala n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le tribunal spécial a en effet lancé des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre plusieurs autres hauts responsables de l’UCK, dont certains occupent aujourd’hui des fonctions éminentes. C’est notamment le cas de l’ancien président du Kosovo Hashim Thaci, contraint de démissionner en 2020 après avoir été inculpé.
Un véritable séisme politique pour ce petit pays qui peine à tourner la page de son passé douloureux. Mais une étape indispensable sur le long chemin de la réconciliation et de la justice. Car comme l’a martelé le procureur en chef dans son réquisitoire, « les crimes de guerre ne peuvent rester impunis, quel que soit le camp qui les a commis ».
Un pas de plus vers la vérité et la reconnaissance des victimes
Au-delà du cas Pjeter Shala, cette décision de justice est donc une victoire pour toutes les victimes des exactions commises pendant le conflit kosovar. Un conflit fratricide qui a déchiré les familles et les communautés, laissant des cicatrices encore béantes plus de 20 ans après.
« Aucune somme d’argent ne pourra jamais effacer le traumatisme et le deuil que nous avons subis. Mais c’est un premier pas vers la vérité, la reconnaissance de nos souffrances. Et peut-être, un jour, le pardon », confie une victime sous couvert d’anonymat.
Car au-delà de la condamnation des coupables, c’est bien la question de la mémoire et de la réconciliation qui est en jeu. Comment construire une société apaisée et tournée vers l’avenir quand les fantômes du passé continuent de hanter les vivants ? C’est tout l’enjeu du travail de ce tribunal spécial, qui espère ainsi contribuer à refermer peu à peu les plaies de la guerre.
Un combat de longue haleine pour la justice internationale
Plus largement, ce jugement illustre aussi les progrès de la justice pénale internationale, malgré ses lenteurs et ses limites. Depuis les précédents des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda dans les années 1990, de nombreuses autres juridictions hybrides ou internationalisées ont vu le jour pour juger les responsables de crimes de masse.
Un combat de longue haleine, semé d’embûches politiques et procédurales, mais indispensable pour lutter contre l’impunité des bourreaux et honorer la mémoire des victimes. Car comme le rappelait le juriste français Antoine Garapon, « on ne peut pas construire la paix sur l’oubli et le déni ».
« Le droit international est un outil au service de la vie bonne. Il dit le mal, désigne les responsabilités, répare ce qui peut l’être. Mais il ne peut à lui seul apaiser toutes les blessures de l’âme », analyse-t-il dans son ouvrage Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner.
— Antoine Garapon, juriste et essayiste français
En condamnant Pjeter Shala à indemniser ses victimes, le tribunal spécial pour le Kosovo a donc fait œuvre de justice et de vérité. Mais le chemin sera encore long pour apaiser les mémoires et permettre aux nouvelles générations de se tourner vers un avenir commun. Un défi immense, à la hauteur des souffrances endurées et des cicatrices à refermer.