Marseille. Dans les rues de la cité phocéenne, une réalité sombre se cache derrière les façades : celle des adolescents happés par les réseaux de trafic de drogue. Un fléau qui prend de l’ampleur et n’épargne pas les plus jeunes. Simba*, 17 ans, en a fait la douloureuse expérience. Après une dispute avec son oncle qui l’hébergeait à Paris, il débarque à Marseille à 14 ans. Très vite, il se retrouve à vendre de la drogue.
« C’était violent, se souvient le jeune homme. On te crie dessus tout le temps, tu as peur, c’est des problèmes, du stress. » La pression est constante. Perdre la marchandise ou arrêter de vendre, c’est risquer sa vie. Un enfer dont il veut à tout prix s’extirper aujourd’hui : « J’vais pas recommencer, j’veux pas rater ma vie. »
Une jeunesse sacrifiée sur l’autel du trafic
Le cas de Simba est loin d’être isolé. De plus en plus, les réseaux marseillais exploitent une main d’œuvre très jeune, souvent fragile et venue d’autres régions. Des adolescents sacrifiable à merci. Une tendance inquiétante confirmée par Yves Depieds, éducateur spécialisé au foyer Calendal qui accueille ces jeunes en difficulté : « Quand j’ai commencé il y a 15 ans, on n’avait pas de grosse délinquance avant 16-17 ans. Aujourd’hui, ça commence à 14, parfois avant. »
Résultat : des gamins « extrêmement abîmés », aux parcours de vie chaotiques, de foyers en familles dysfonctionnelles. Karine Courtaud, directrice du foyer, résume : « Calendal, c’est un peu le bout de course, quand ils ont été rejetés de partout. » La violence des réseaux les poursuit jusque dans ce lieu censé les protéger. Après le placement en détention d’un pensionnaire soupçonné d’avoir participé à une exécution, l’établissement a été menacé par des trafiquants venus réclamer leur dû…
Se reconstruire, malgré tout
Face à ces destins brisés, l’équipe du foyer Calendal se démène pour redonner un avenir à ces jeunes. Avec patience et bienveillance, ils tentent de panser les plaies de l’âme. « On se bat tous les jours pour qu’ils s’épanouissent, pour gommer certaines souffrances », explique Mohamed M’Sa, éducateur et rappeur. L’objectif : leur permettre de « se poser », de redevenir des enfants avant d’être des adultes.
Et parfois, la graine semée porte ses fruits, comme le souligne Yves Depieds : « On avait un très gros délinquant qui a un contrat de travail aujourd’hui, après une formation en boucherie, avec une compagne et un enfant. » Des success stories qui donnent de l’espoir et du sens à leur mission.
On se bat tous les jours pour que ces enfants s’épanouissent, gommer certaines souffrances.
Mohamed M’Sa, éducateur spécialisé et rappeur du groupe 3e Œil
Simba, Nino, Kevin… Des destins suspendus
Aujourd’hui, Simba veut croire en un nouveau départ. Dans la cour du foyer, il s’élance dans un salto arrière plein d’insouciance. À ses côtés, Nino*, 16 ans, petit gabarit au lourd passé. Lui a commencé à « guetter » sur un point de deal dès 13-14 ans. « Le réseau, je savais que j’irai depuis petit », lâche-t-il comme une fatalité.
Kevin*, 18 ans, placé depuis ses 7 ans, se sent enfin prêt à décrocher son bac. Mais surtout, à rattraper son « manque d’amour ». Par le biais de l’écriture, il apprend à « aller vers les autres ». Encadré par Mohamed M’sa, il couche ses espoirs sur le papier : « Une vie entre parenthèses, des rêves à réaliser, on veut manger, becter, et sortir du béton, pas finir endetté… »
Des mots comme une promesse, un vœu fait à lui-même et à tous ces gamins pris au piège, en quête d’un autre destin. Car au-delà du bitume et des tours, une lueur d’espoir subsiste. Celle d’une vie meilleure, loin de la violence et de la drogue. Une vie à retrouver, coûte que coûte, après ces années volées.
* Les prénoms ont été modifiés