Le rêve de rouler en SUV électrique haut de gamme à prix abordable a viré au cauchemar pour les 12 000 propriétaires d’un Fisker Ocean dans le monde. La start-up automobile américaine, qui avait lancé son unique modèle fin 2022 en fanfare, a soudainement fait faillite en juin dernier. Du jour au lendemain, exit le service après-vente, les changements de pièces défectueuses, les mises à jour logicielles et la résolution des bugs. Les clients se retrouvent livrés à eux-mêmes, avec un véhicule truffé d’électronique qui risque de devenir une coquille vide.
Le système D des propriétaires
En France, l’agence de location Agilauto propose à ses 26 clients de récupérer leurs véhicules sans frais de restitution et de récupérer l’apport initial pour éventuellement repartir sur un nouveau leasing. Mais cette porte de sortie n’existe pas pour les quelque 160 propriétaires français ayant acheté leur Fisker Ocean.
Face à cette situation inédite, un propriétaire a créé la Fisker Owners Association France pour organiser le service après-vente entre adhérents. Via le bouche à oreille, les connaissances des uns et des autres et l’aide d’anciens techniciens Fisker, ils arrivent à commander des pièces détachées auprès des sous-traitants de la marque. Une initiative calquée sur une association similaire créée aux États-Unis.
Je vais mettre mes tutos à disposition de garagistes partenaires dans toute la France.
– Régis Greishaber, garagiste membre de l’association
Trouver des pièces et des mécaniciens
La démarche consiste à se tourner vers les fournisseurs de Fisker comme Saint-Gobain pour les pare-brises, Johnson Controls pour les pompes de refroidissement ou ChevallierTech qui a vendu 3500 clés de voiture à l’association mondiale. Par contre, certains comme Magna Steyr qui assemblait les Fisker Ocean en Autriche font de la résistance en voulant vendre des pièces à prix d’or.
Un autre défi est de former des garagistes au dépannage de ces voitures électriques nouvelle génération. D’après une source proche de l’association, un adhérent du Gers a commandé pour 7000€ de pare-brises juste pour les mettre à disposition. Un garagiste alsacien compte lui traduire la doc technique pour ses confrères.
Le nerf de la guerre : les mises à jour logicielles
Mais le talon d’Achille de l’auto-organisation reste la dépendance au système informatique embarqué. La majorité des données nécessaires pour assurer la maintenance sont stockées sur des serveurs auxquels les clients n’ont plus accès. Le coût d’hébergement, d’un million de dollars, reviendrait à 150$ par an et par propriétaire s’ils voulaient mutualiser une solution.
Le logiciel maison de Fisker, nommé Fast, est également indispensable pour mettre à jour les véhicules et corriger les bugs. Problème : pour des raisons de propriété intellectuelle, il est impossible d’y accéder et d’en modifier le code source. Sans cet outil, les Fisker Ocean vont vite devenir obsolètes et inutilisables.
Des recours limités pour les propriétaires
Les voies juridiques paraissent limitées car la maison mère américaine de Fisker a déposé le bilan. Se retourner contre la filiale française n’aurait guère de sens vu sa taille modeste et son rôle de simple importateur. Une action de groupe pour vice caché pourrait éventuellement être envisagée, mais avec peu de chances de succès.
Faute de mieux, les propriétaires de Fisker Ocean n’ont donc pas d’autre choix que de prendre leur destin en main, quitte à bidouiller pour faire durer leurs véhicules. Quand le rêve high-tech vire au retour à la débrouille mécanique, c’est toute la fragilité d’un modèle basé sur des startups ultra-dépendantes des investisseurs qui se révèle. Les grandes marques traditionnelles, aussi lentes soient elles à prendre le virage de l’électrique, ont au moins pour elles une solidité industrielle et financière pour assurer un service longue durée à leur clients.
Mon Fisker Ocean est devenu un bel objet technologique, mais pour combien de temps ? Je croise les doigts pour qu’il ne tombe pas en panne.
– Julien, propriétaire en région parisienne
À court terme, la priorité pour les membres de l’association française est de réussir à faire homologuer des pièces de rechange issues de la deuxième monte, voire de la fabrication additive, afin de ne pas démunir. Cela passe par du lobbying auprès des autorités de sécurité routière. Pour le reste, le futur s’annonce semé d’embûches pour ces pionniers, soudés par un sort commun mais bien seuls face aux défis technologiques de l’après Fisker.