Sous les ors de l’Assemblée nationale, une guerre souterraine fait rage entre députés socialistes et insoumis. Depuis le début de la législature, les deux groupes de gauche se livrent une bataille larvée dans l’hémicycle et les couloirs du Palais Bourbon, les yeux rivés sur l’élection présidentielle de 2027. Mais cette semaine, le conflit est brutalement sorti au grand jour après une proposition explosive du président du groupe PS Boris Vallaud.
La bombe Vallaud
Tout a commencé mardi lorsque Boris Vallaud a soumis aux insoumis un « pacte de non-censure » réciproque jusqu’à la fin du quinquennat. Une initiative en apparence anodine, mais lourde de sens. Car derrière ce geste se cache une tentative de rapprochement entre les frères ennemis de la gauche, dans la perspective des prochaines échéances électorales.
« Boris Vallaud a voulu prendre LFI de court et imposer un premier pas vers l’union, malgré les fortes divergences » confie un député socialiste. Les insoumis n’ont pas tardé à réagir, par la voix de leur chef de file Mathilde Panot :
C’est une manœuvre grossière, nous n’accepterons aucun chantage. Le PS rêve de revenir aux affaires sur notre dos, c’est non.
– Mathilde Panot, cheffe de file des députés LFI
Des plaies jamais refermées
La fracture entre les deux formations n’est pas nouvelle. Depuis la présidentielle de 2017 et la débâcle de Benoit Hamon, la gauche se déchire sur la stratégie à adopter face à Emmanuel Macron et son parti LREM, majoritaire à l’Assemblée. Les socialistes prônent un « dialogue exigeant » quand LFI défend une opposition frontale.
Pour les Insoumis, pas question de pactiser avec un PS qui a « trahi les classes populaires » sous François Hollande. Les socialistes accusent en retour LFI de pratiquer une politique de la « terre brûlée », au risque de laisser le champ libre à la droite et à l’extrême droite.
Vers une Assemblée ingouvernable ?
Les tensions entre les deux groupes empoisonnent le travail parlementaire et menacent de paralyser l’Assemblée. « C’est de pire en pire, on ne se parle quasiment plus » déplore un élu socialiste. Chaque camp campe sur ses positions, dans une escalade verbale qui prend parfois des accents de pugilat.
La semaine dernière, une réunion transpartisane sur la réforme des retraites a ainsi viré au règlement de comptes, obligeant les huissiers à intervenir. « Les Insoumis ont une stratégie de chaos. Ils veulent pourrir les débats pour décrédibiliser l’institution » accuse un proche de Boris Vallaud.
Tout cela va très mal finir. On court à l’accident.
– Un député influent de la majorité
L’ombre de 2027
Car c’est bien la présidentielle de 2027 qui est dans toutes les têtes. Chez LFI comme au PS, chacun affûte déjà ses armes en vue du prochain scrutin, avec la ferme intention de s’imposer comme la force dominante à gauche.
Jean-Luc Mélenchon, s’il renonce à se présenter, entend bien adouber son successeur et barrer la route aux socialistes. Ces derniers espèrent profiter de l’affaiblissement des Insoumis, discrédités par leurs outrances, pour opérer leur mue et revenir dans le jeu.
Avec son « pacte de non-censure », Boris Vallaud a donc fait un premier pas sur l’échiquier de 2027. Pas sûr cependant que les Insoumis soient disposés à rentrer dans la danse. « C’est un marché de dupes, le PS n’est plus audible » balaie un lieutenant de Jean-Luc Mélenchon.
Le risque d’une gauche durablement fracturée
En attendant, c’est la paralysie qui guette à l’Assemblée. Faute d’une entente entre les groupes d’opposition, la majorité présidentielle pourrait imposer ses vues sans coup férir sur les dossiers clés de la mandature.
De quoi inquiéter les syndicats et les associations, qui craignent que leurs revendications ne soient sacrifiées sur l’autel des guerres d’ego à gauche. « Si le PS et LFI ne se parlent plus, on n’obtiendra rien pour les salariés » redoute un leader de la CGT.
À moins d’un sursaut des états-majors, la fracture promet de s’installer durablement, jusqu’à devenir le principal enjeu de la prochaine présidentielle. Au risque de laisser Emmanuel Macron et son successeur régner sans partage. Pour la gauche, ce serait un terrible constat d’échec, cinq ans seulement après l’espoir du Front populaire.