Les tensions s’intensifient en Somalie alors qu’un tribunal de la capitale Mogadiscio vient de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre d’Ahmed Madobe, le président récemment réélu de l’État régional du Jubaland. Accusé notamment « d’atteinte à l’unité nationale », Madobe fait face à de graves répercussions suite à un scrutin jugé « illégal » par le gouvernement central.
Une réélection source de discorde
Lundi dernier, Ahmed Madobe a été reconduit pour un troisième mandat à la tête du Jubaland par le parlement régional. Une décision immédiatement contestée par Mogadiscio, estimant que l’ancien seigneur de guerre, en poste depuis 2012, n’était plus éligible car ayant déjà effectué le maximum constitutionnel de deux mandats.
Le gouvernement central souhaitait repousser cette élection à 2025 afin de la faire coïncider avec son projet d’instaurer le suffrage universel direct dans l’ensemble du pays. Jusqu’à présent, les dirigeants somaliens sont désignés via un système complexe de vote indirect des chefs de clan.
De lourdes accusations
Suite à la réélection de Madobe, un tribunal régional a émis un mandat d’arrêt à son encontre. En plus « d’atteinte à l’unité nationale », le président du Jubaland est accusé de :
- Haute trahison
- Partage d’informations sensibles avec un pays étranger
- Attaque contre le cadre constitutionnel somalien
La police nationale a reçu l’ordre de l’arrêter et de le traduire devant la justice. Une escalade qui marque un nouveau point bas dans les relations historiquement houleuses entre cet ancien seigneur de guerre et le pouvoir central.
Un territoire stratégique
En 2012, Ahmed Madobe, de son vrai nom Ahmed Mohamed Islam, a chassé avec l’aide de troupes kényanes les islamistes shebab de leur bastion de Kismayo, capitale du Jubaland. Depuis, cette région prospère est vue par le Kenya et l’Éthiopie voisins comme un tampon crucial contre les shebab, à l’origine de plusieurs attaques sanglantes sur leurs territoires.
Une fédération fragile
La Somalie, minée par les conflits, est une fédération composée de cinq États membres semi-autonomes et d’un gouvernement central établi à Mogadiscio. Le Somaliland, une sixième région qui a déclaré son indépendance dès 1991, n’est pas reconnu internationalement malgré l’existence du vote direct.
Cette nouvelle crise met en lumière la fragilité de l’équilibre des pouvoirs au sein de la fédération somalienne. Alors que des députés pro-Madobe ont tenté de perturber le parlement mercredi, la session s’est poursuivie, approuvant la création d’une commission électorale chargée d’organiser les élections nationales.
Dans un pays encore largement sous l’emprise des clans et des conflits, la tenue d’élections nationales libres et équitables apparaît comme un défi titanesque. L’émission de ce mandat d’arrêt contre un puissant leader régional est un pari risqué pour Mogadiscio, qui espère affirmer son autorité. Reste à voir si cela apaisera ou attisera les tensions.
Selon une source proche du dossier, des négociations seraient en cours en coulisses pour tenter de désamorcer la crise. Mais avec des positions aussi tranchées de part et d’autre, trouver un compromis s’annonce ardu. La communauté internationale, inquiète de cette escalade dans une région déjà instable, appelle toutes les parties à la retenue et au dialogue.
Dans ce bras de fer entre le centre et la périphérie, c’est l’avenir même du fédéralisme somalien qui se joue. Un système fragile, hérité d’années de conflits, et qui peine encore à trouver son équilibre entre unité nationale et autonomie régionale. Le cas du Jubaland illustre toute la complexité de cette équation, dans un pays qui cherche encore sa voie vers la stabilité et la démocratie.