En ce mercredi si particulier, le Mémorial de la Shoah, institution parisienne incontournable dans le devoir de mémoire, s’apprête à franchir un cap décisif. Plus d’un millier de témoignages vidéos, des paroles précieuses de rescapés de la Shoah, d’enfants cachés, de résistants et de Justes, seront progressivement mis en ligne sur la chaîne YouTube du Mémorial. « Les Voix des Témoins », c’est ainsi que s’intitule ce projet d’envergure qui offrira au grand public un accès inédit à ces récits poignants.
Alors que le temps fait son œuvre inexorable et que les témoins directs de la Shoah se font de plus en plus rares, il y avait urgence à agir. Jacques Fredj, directeur du Mémorial, l’a bien compris. Mettre ces témoignages à la portée de tous, c’est permettre « une autre manière de rentrer dans la grande Histoire », souligne-t-il. Car au-delà des faits bruts consignés dans les livres, ce sont bien ces voix, ces visages, ces émotions qui donnent chair à la mémoire.
Des récits intimes pour toucher les cœurs
Jusqu’à présent, ces témoignages d’une durée conséquente, pouvant aller jusqu’à quatre heures pour certains, n’étaient accessibles qu’au sein de la salle de lecture du Mémorial. En les diffusant largement, deux mois à peine avant le 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, l’institution fait un pari audacieux mais nécessaire.
Car ces récits intimes ont un pouvoir que les cours d’histoire peinent parfois à égaler. « L’avantage du témoignage, c’est qu’il permet de raconter une histoire personnelle, individuelle, familiale », insiste Jacques Fredj. Une proximité, une humanité qui rend l’événement palpable, presque à portée de main. « À partir du moment où vous êtes capable de parler à quelqu’un, de le voir, de le toucher, d’obtenir des réponses, l’événement n’est pas si loin ».
Devenir les passeurs de mémoire
Mais le temps presse. Les rescapés s’éteignent les uns après les autres, emportant avec eux des pans entiers de leurs histoires. Des anecdotes, des moments dont eux seuls avaient la clé. Bientôt, il faudra enseigner sans les témoins, être les « relais » de leur parole, à défaut de pouvoir être les « témoins des témoins ». Un défi immense pour les générations futures.
C’est tout l’enjeu de cette collecte patrimoniale, réalisée dans un souci de neutralité et d’exhaustivité. « Laisser le témoin parler, s’exprimer, raconter », sans filtre, pour constituer une base de données inestimable. Un matériau brut dans lequel pourront puiser les documentaristes, les enseignants, les commissaires d’exposition.
Vaincre les réticences et la douleur
Si l’écrasante majorité des témoins a répondu présente, consciente de l’importance de la démarche, certains ont exprimé des craintes. La peur de voir leur image et leur voix livrées aux aléas des réseaux sociaux. Pour d’autres, raviver ces souvenirs fut un déchirement. Il y eut aussi ceux que la maladie ou la fatigue ont réduits au silence.
Autant d’obstacles qu’il a fallu surmonter avec tact et détermination. Car plus que jamais, à l’heure où l’antisémitisme se fait à nouveau menaçant et où le négationnisme prospère sur Internet, il est crucial de faire entendre ces voix. De les ancrer dans le présent, pour mieux éclairer l’avenir.
Nourrir la réflexion et les consciences
C’est aussi le sens de la mise en garde de Jacques Fredj. Dans un monde saturé d’images et de mots, où « on est en train de banaliser l’expression du mal », il est impératif de redonner leur juste valeur aux témoignages. De prendre le temps de les écouter, de les comprendre, de les contextualiser. De s’en imprégner, pour nourrir notre réflexion et nos consciences.
Un défi que le Mémorial entend bien relever, fort du succès grandissant rencontré par ses activités. Et ce n’est qu’un début. D’autres campagnes de collecte sont d’ores et déjà prévues, tant qu’il restera des voix pour porter la mémoire. Une course contre la montre et l’oubli, pour que jamais ne se taisent « Les Voix des Témoins ».
