L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel fait son retour sur le devant de la scène avec la publication très attendue de ses mémoires, intitulées « Freiheit – Erinnerungen von 1954 bis 2021 » (« Liberté – Souvenirs de 1954 à 2021 »). Dans cet ouvrage, celle qui a dirigé l’Allemagne pendant 16 ans revient notamment sur des moments clés et controversés de son long mandat, en particulier la crise des migrants de 2015 et la montée du populisme qui s’en est suivie.
L’appel d’air migratoire et le fameux « Wir schaffen das »
Angela Merkel aborde en détails ce qui restera comme l’un des épisodes les plus marquants de sa chancellerie : sa gestion de l’afflux massif de réfugiés en 2015, principalement en provenance de Syrie et d’Irak. Face à cette crise humanitaire sans précédent, elle avait déclaré avec force que l’Allemagne pouvait et allait relever ce défi, lançant son désormais célèbre slogan « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons »).
Or, comme elle le reconnaît elle-même dans ses mémoires, Merkel ne s’attendait pas à un tel impact de cette petite phrase sur le long terme. Reprise à l’envi par ses détracteurs, elle est devenue le symbole d’une politique migratoire jugée trop généreuse et irresponsable par une partie de l’opinion.
L’ex-chancelière admet ainsi avoir sous-estimé l’effet d’appel d’air qu’allait provoquer sa position accueillante envers les réfugiés. Elle mentionne notamment un selfie pris avec un migrant syrien, devenu viral, qui a selon elle amplifié l’attrait de l’Allemagne comme terre d’asile. Une réaction en chaîne qu’elle affirme ne pas avoir anticipée à l’époque.
Pour autant, malgré les critiques et les conséquences de cette politique, Angela Merkel écrit ne rien regretter de ses choix lors de cette crise. Elle continue de défendre son approche, qu’elle qualifie d’« humanitaire et pragmatique » face à l’urgence de la situation.
Fermeté et humanité sur l’immigration
Dans ses mémoires, l’ancienne dirigeante met toutefois en garde contre la tentation de mesures excessives visant à décourager les migrants de venir en Europe. Elle souligne que le bien-être et l’État de droit qui y règnent en feront toujours un « lieu de désir » pour ceux qui fuient la guerre et la misère.
Merkel plaide donc pour une approche équilibrée et nuancée sur le sujet sensible de l’immigration. Selon elle, il est nécessaire de combiner une lutte résolue contre l’immigration illégale avec la création de voies légales permettant d’accueillir dignement ceux qui ont besoin de protection.
« Il faut à la fois de la fermeté et de l’humanité. C’est un équilibre difficile mais indispensable à trouver. »
Angela Merkel dans ses mémoires
Montée de l’AfD et du populisme
Angela Merkel revient également sur un autre phénomène majeur apparu sous sa chancellerie : l’émergence et la percée de l’AfD, parti populiste et anti-immigration, dans le paysage politique allemand. Une ascension qu’elle relie directement à la crise migratoire et qui l’inquiète pour l’avenir de la démocratie.
Tout en condamnant fermement la rhétorique de l’AfD, qu’elle juge xénophobe et dangereuse, l’ex-chancelière reconnaît que les partis traditionnels ont une part de responsabilité dans la montée des populismes. Selon elle, ils n’ont pas su apporter des réponses crédibles aux préoccupations légitimes d’une partie des citoyens face aux défis de l’immigration et de l’intégration.
Pour autant, Angela Merkel met en garde contre la tentation de vouloir simplement courir après les thèmes et le discours des populistes pour les contrer. À ses yeux, ce serait contre-productif et ne ferait que renforcer ces mouvements sur le long terme.
« Nous ne devons pas laisser le champ libre aux populistes, mais nous ne pouvons pas non plus adopter leur rhétorique. La seule façon de les combattre, c’est avec des réponses sérieuses, efficaces et pondérées. »
Angela Merkel dans ses mémoires
Un appel à défendre les valeurs démocratiques
En définitive, avec la publication de ses mémoires, Angela Merkel souhaite tirer les leçons de son expérience à la tête de l’Allemagne, en particulier sur ces deux enjeux cruciaux que sont la question migratoire et la poussée populiste. Si elle admet certaines erreurs d’appréciation, elle maintient l’essentiel de sa ligne.
Surtout, l’ex-chancelière appelle les forces démocratiques à ne pas céder du terrain face aux discours de haine et de rejet de l’autre. Retrouver la confiance des citoyens par l’efficacité et la crédibilité de l’action politique, voilà selon elle le meilleur rempart contre les dérives populistes.
Des mots qui résonneront sans doute dans une Europe confrontée depuis plusieurs années à la montée des extrêmes et des discours anti-immigrants. Angela Merkel, par son expérience et son recul, entend ainsi participer au nécessaire débat sur l’identité et l’avenir du projet européen face à ces défis.
