Les relations sino-américaines traversent une nouvelle zone de turbulences. Au cœur des tensions : le sort de la minorité musulmane ouïghoure en Chine, que Washington accuse Pékin de soumettre au travail forcé. Un dossier brûlant sur fond de guerre commerciale et de lutte d’influence entre les deux superpuissances.
La Chine dénonce la « coercition économique » américaine
La réaction de Pékin ne s’est pas faite attendre. Par la voix d’un porte-parole du ministère du Commerce, la Chine a vivement condamné mardi ce qu’elle considère comme de « l’intimidation faite au nom des droits de l’Homme » et « un cas typique de coercition économique ».
« La Chine est fermement opposée à tout travail forcé et il n’existe aucun ‘travail forcé’ au Xinjiang », a martelé le porte-parole, annonçant que son pays prendrait « les mesures nécessaires pour préserver, avec détermination, les droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises ».
D’où viennent ces nouvelles sanctions américaines ?
Vendredi dernier, les États-Unis ont annoncé avoir élargi leur liste noire d’entreprises chinoises interdites d’importation. Une trentaine de nouvelles sociétés sont désormais visées, soupçonnées de profiter du travail forcé de membres de la minorité ouïghoure au Xinjiang, vaste région du nord-ouest de la Chine.
Au total, ce sont maintenant 107 entreprises de cette région sensible qui n’ont plus le droit d’exporter vers le marché américain, selon le département de la Sécurité intérieure. Une loi votée en décembre 2021 au Congrès interdit toute importation de produits du Xinjiang, à moins que les compagnies puissent prouver l’absence de main d’oeuvre forcée dans leurs chaînes de production.
Que se passe-t-il réellement au Xinjiang ?
Région stratégique aux portes de l’Asie centrale, le Xinjiang a longtemps été frappé par des attentats sanglants, attribués par les autorités chinoises à des séparatistes et islamistes ouïghours. En réponse, Pékin y a lancé une vaste campagne sécuritaire ces dernières années, au nom de l’anti-terrorisme.
Mais selon des ONG et études occidentales, que l’AFP n’est pas en mesure de vérifier de manière indépendante, plus d’un million de Ouïghours auraient été internés dans des « camps ». Et beaucoup seraient soumis au travail forcé, notamment dans les champs de coton et les usines de la région.
Des accusations fermement rejetées par la Chine, qui parle de « centres de formation professionnelle » destinés à éloigner les habitants de l’extrémisme religieux, et de « mensonges » concernant le travail forcé.
Un bras de fer sino-américain aux enjeux multiples
Au-delà de la seule question ouïghoure, ces nouvelles sanctions s’inscrivent dans un contexte de fortes tensions entre les États-Unis et la Chine. Les deux pays s’affrontent sur de multiples terrains :
- Guerre commerciale et technologique
- Rivalité stratégique en Indo-Pacifique
- Question de Taïwan et de la mer de Chine
- Rivalité dans les technologies de pointe (semi-conducteurs, 5G, IA…)
- Accusations mutuelles d’espionnage et d’ingérence
Washington durcit le ton face à une Chine perçue comme une menace croissante pour son leadership mondial. Et la question des droits de l’Homme est devenue un levier de pression supplémentaire sur Pékin. Les sanctions sur le Xinjiang permettent aux USA de préserver leur image de parangon des libertés, tout en portant des coups économiques ciblés.
Quelle suite pour les relations Pékin-Washington ?
Malgré un début de détente lors de la rencontre Xi-Biden à Bali en novembre dernier, les relations sino-américaines restent tendues et potentiellement explosives. Les sanctions et contre-sanctions se multiplient, sur fond de méfiance et de rivalité stratégique accrues.
Si le dialogue n’est pas rompu, comme en témoigne la visite à Pékin du secrétaire d’État Blinken en juin, le chemin vers l’apaisement s’annonce long et semé d’embûches. Car au-delà des déclarations, les intérêts et visions du monde des deux puissances demeurent difficilement conciliables.
Et le sort de la minorité ouïghoure, prise en étau entre les impératifs sécuritaires de Pékin et la pression de la communauté internationale, risque de cristalliser durablement les tensions. Un test pour la relation complexe et décisive entre les deux géants du XXIe siècle.
Entre la Chine et les États-Unis, la question ouïghoure est devenue le symbole d’une rivalité qui dépasse le seul enjeu des droits humains, pour toucher aux équilibres économiques et géopolitiques mondiaux.