Ces derniers mois, le projet d’Europe de la défense a pris un nouveau tournant avec des avancées notables au niveau des institutions européennes. La nouvelle Commission compte désormais un commissaire dédié à la défense, une première dans l’histoire de l’UE. Sa feuille de route s’inspire largement du rapport Draghi qui préconise d’utiliser les outils du marché unique pour bâtir une défense européenne intégrée.
Un marché unique de la défense en ligne de mire
Au cœur de cette nouvelle impulsion, l’idée phare est de créer un marché unique européen pour les équipements de défense. L’objectif est de rationaliser les dépenses militaires des États membres, de favoriser l’interopérabilité des armées et de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne face à la concurrence mondiale.
Concrètement, cela passerait par une harmonisation des normes, des procédures de marchés publics et une mutualisation des investissements dans la R&D. Des programmes emblématiques comme le système de combat aérien du futur (SCAF) ou le char du futur pourraient en bénéficier.
Des craintes sur la souveraineté des États
Mais cette approche « communautaire » de la défense, calquée sur la méthode qui a fait le succès du marché unique, suscite aussi de vives inquiétudes. Des voix s’élèvent pour mettre en garde contre une perte de souveraineté des États dans un domaine aussi régalien.
Allons-nous renoncer à notre indépendance au nom de l’Europe de la défense, dont personne ne veut ?
s’interroge un haut fonctionnaire français cité par une source proche du dossier.
La France, qui dispose de l’armée la plus puissante de l’UE avec le départ du Royaume-Uni, est particulièrement réticente à confier davantage de compétences à Bruxelles dans ce domaine. Paris privilégie une coopération intergouvernementale, à géométrie variable, comme l’Initiative européenne d’intervention (IEI) lancée en 2018.
Des divisions persistantes entre Européens
Plus globalement, l’Europe de la défense peine à surmonter les clivages stratégiques entre États membres :
- Atlantistes contre partisans de l’autonomie stratégique européenne
- Pays de l’Est focalisés sur la menace russe / du Sud sur les enjeux méditerranéens
- États neutres réticents à toute militarisation de l’UE
- Budgets de défense très hétérogènes malgré des efforts récents
À cela s’ajoutent les interrogations sur l’articulation avec l’OTAN, qui reste la pierre angulaire de la défense collective pour une majorité d’Européens. Beaucoup craignent une duplication coûteuse et contre-productive.
Vers une prise de conscience post-Ukraine ?
La guerre en Ukraine a cependant créé un électrochoc sur la nécessité pour les Européens de renforcer leur capacité de défense face aux menaces. La boussole stratégique adoptée en mars 2022 fixe un niveau d’ambition inédit.
Des avancées ont été enregistrées comme la création d’une capacité de déploiement rapide de 5000 hommes, un pacte commun sur les achats d’armements ou un fonds européen de soutien à l’industrie de défense. De quoi espérer un sursaut durable ?
Je crains que la prise de conscience des Européens sur la guerre ne soit que passagère.
confie un général français, soulignant la difficulté à pérenniser les efforts.
Au final, la construction d’une véritable Europe de la défense reste un chemin semé d’embûches, entre volontarisme des institutions européennes et réticences des États attachés à leurs prérogatives. Si des progrès sont possibles sur certains volets capacitaires ou industriels, l’émergence d’une politique de défense unifiée et autonome paraît encore lointaine. Le débat promet en tout cas d’animer la prochaine législature européenne et les réflexions sur l’avenir du projet européen.