Le 26 novembre 1974 restera à jamais gravé dans l’histoire des droits des femmes en France. Ce jour-là, une jeune ministre de la Santé du nom de Simone Veil montait à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre avec conviction son projet de loi visant à légaliser l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Retour sur ce moment charnière.
Un combat de longue haleine
Lorsque Simone Veil se lance dans cette bataille législative, l’avortement est encore un sujet tabou, réprimé par une loi inchangée depuis 1920. Pourtant, la réalité est tout autre : chaque année, des centaines de milliers de françaises avortent clandestinement, au péril de leur vie et de leur santé.
Face à cette situation dramatique, des voix s’élèvent pour réclamer une évolution de la loi. En 1956 déjà, le Mouvement Français pour le Planning Familial milite pour l’accès à la contraception et à l’avortement. Le procès de Bobigny en 1972, où une jeune fille est jugée pour avoir avorté après un viol, marque un tournant dans l’opinion publique.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours.
Simone Veil, 26 novembre 1974
La loi Veil, une avancée historique
C’est dans ce contexte que Simone Veil présente son texte devant les députés. Fruit d’un long travail de concertation, il propose de dépénaliser l’IVG jusqu’à 10 semaines de grossesse, à condition qu’elle soit pratiquée par un médecin, dans un établissement agréé, et après deux consultations.
Malgré une assemblée majoritairement masculine et conservatrice, Simone Veil défend son projet pied à pied pendant 25 heures de débats houleux. Stoïque face aux attaques parfois d’une rare violence, allant jusqu’à l’accuser de « génocide », elle ne lâche rien. Dans un discours resté célèbre, elle déclare :
Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans qu’il soit banalisé ? Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme. Je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement.
Simone Veil, 26 novembre 1974
Un texte adopté, une société qui progresse
Après des débats épiques, la loi est finalement adoptée le 29 novembre par 284 voix contre 189. Une majorité composée de l’ensemble de la gauche et d’un tiers seulement des députés de droite. Le texte est promulgué le 17 janvier 1975, ouvrant une nouvelle page pour les droits des femmes.
Si la loi Veil ne légalise l’IVG que pour 5 ans à titre expérimental, elle sera définitivement adoptée en 1979. Depuis, de nombreuses avancées ont eu lieu, comme la suppression de la notion de détresse en 2014 ou l’allongement des délais en 2022. Mais le combat initié par Simone Veil il y a un demi-siècle est loin d’être terminé.
Aujourd’hui encore, l’accès à l’IVG reste fragile et inégalitaire selon les territoires. Certains voudraient même revenir sur ce droit, comme en témoigne le revirement historique de la Cour suprême américaine en 2022. C’est pourquoi il est crucial de se remémorer l’héritage et le courage de Simone Veil, pour que plus jamais aucune femme n’ait à risquer sa vie en avortant dans la clandestinité.