Le siège du principal journal en langue bengali du Bangladesh, Protom Alo, a été encerclé lundi par plusieurs centaines de manifestants l’accusant d’être « anti-islam » et « pro-indien ». Ils exigent sa fermeture immédiate, estimant que le quotidien, comme d’autres médias indépendants, aurait soutenu le régime autoritaire de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina, qui a fui le pays le 5 août dernier après des semaines de manifestations sévèrement réprimées.
Selon des journalistes de l’AFP présents sur place, environ 300 personnes ont participé à ce rassemblement devant le QG de Protom Alo à Dacca, protégé par les forces de sécurité. La veille déjà, la police avait dû disperser à coups de gaz lacrymogènes une foule menaçant les locaux du journal.
Sheikh Hasina : 20 ans d’un règne autoritaire
Âgée de 77 ans, Sheikh Hasina a dirigé le Bangladesh d’une main de fer pendant près de 20 ans, au cours de deux mandats : de 1996 à 2001, puis de 2009 jusqu’à sa fuite le mois dernier. Son régime est accusé d’avoir fait exécuter, enlever ou emprisonner des centaines d’opposants politiques.
Sa chute a déclenché de nombreuses manifestations dans le pays, dont certaines organisées par des groupes islamistes qui ont subi la répression du gouvernement pendant des années. Beaucoup voient d’un mauvais œil les médias indépendants comme Protom Alo, les soupçonnant d’avoir été complaisants avec l’ancien régime.
Protom Alo accusé de « déstabiliser » le pays
Parmi les manifestants rassemblés lundi, Alif Bin Labib Shuvo, un étudiant de 20 ans blessé en juillet lors d’une manifestation contre le gouvernement, a reproché à Prothom Alo de chercher à « déstabiliser » le Bangladesh et de dénigrer sa majorité musulmane. « S’ils ne changent pas leur stratégie actuelle, ils doivent être fermés », a-t-il déclaré à l’AFP.
« Nous avons constamment respecté les plus hauts critères de professionnalisme dans notre travail et nous entendons continuer à le faire », a répondu le rédacteur en chef de Prothom Alo, Sajjad Sharif, rappelant que son journal avait été victime du « harcèlement » de l’ancien régime. Le mois dernier, le quotidien de langue anglaise Daily Star avait fait l’objet des mêmes critiques.
Le difficile avenir de la liberté de la presse
Malgré les déclarations rassurantes de Muhammad Yunus, chef du gouvernement provisoire et prix Nobel de la paix, sur son attachement à la liberté de la presse, l’avenir des médias indépendants semble bien incertain au Bangladesh.
Selon Reporters sans frontières (RSF), au moins 140 journalistes font l’objet d’enquêtes de la police pour avoir relayé la répression des manifestations contre l’ancien régime. L’ONG dénonce un « harcèlement judiciaire systématique » à leur encontre.
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) appelle de son côté les autorités bangladaises à mener des réformes pour garantir la liberté de la presse « à ce moment critique de l’histoire du pays ». Mais dans le climat actuel, marqué par les manifestations anti-médias, la tâche s’annonce ardue. Protom Alo et les autres grands journaux indépendants risquent de devoir naviguer en eaux troubles pendant encore un certain temps.