En pleine guerre en Ukraine, le président russe Vladimir Poutine vient de signer une loi pour le moins surprenante. Celle-ci permet à ceux qui s’engagent pour combattre en Ukraine d’effacer les dettes qu’ils ne parviennent pas à rembourser, et ce jusqu’à un montant de 10 millions de roubles, soit environ 92 000 euros. Une mesure choc qui soulève de nombreuses interrogations.
Une incitation financière pour trouver des volontaires
Selon une source proche du Kremlin, cette nouvelle législation s’inscrit dans une volonté de motiver davantage de Russes à s’engager volontairement pour aller combattre en Ukraine. En effet, le conflit qui a débuté le 24 février 2022 s’enlise et Moscou peine à mobiliser suffisamment de troupes sur le terrain.
En offrant la possibilité d’effacer ses dettes en échange d’un engagement d’un an minimum, le gouvernement russe espère ainsi attirer de nouvelles recrues, en particulier parmi les jeunes Russes les plus endettés. Car en Russie, les taux d’intérêt sont très élevés et de nombreux citoyens croulent sous les crédits à la consommation.
Des conditions avantageuses pour les volontaires et leurs conjoints
La loi s’appliquera à tous ceux qui signent un contrat à partir du 1er décembre 2022 pour aller servir en Ukraine, mais aussi à leurs conjoints. Le montant total des dettes pouvant être effacées s’élève à 10 millions de roubles, soit environ 92 000 euros au taux de change actuel.
Selon un analyste politique cité par l’agence de presse russe Interfax, cette mesure offre “un nouveau moyen de se débarrasser d’un fardeau insupportable de dettes, au moins pour plusieurs centaines de milliers de personnes”. Jusqu’à présent, seules des dispositions permettaient de retarder les remboursements pour les combattants.
Des conscrits et des appelés également concernés
D’après Sergueï Krivenko, du groupe de défense des droits des militaires Citizen Army Law, cette nouvelle législation ne s’applique pas seulement aux volontaires mais aussi aux conscrits et à ceux qui sont mobilisés dans le cadre de “l’opération militaire spéciale”, terme officiel utilisé par Moscou pour désigner l’offensive en Ukraine.
Même si les conscrits ne peuvent en théorie pas être envoyés au front, ils peuvent choisir de signer un contrat pour rejoindre l’armée professionnelle et être déployés en Ukraine. “Les autorités russes renforcent la motivation pour signer un tel contrat”, souligne un expert cité par l’AFP.
Un niveau d’endettement très élevé en Russie
Il faut dire que le niveau d’endettement des ménages russes est particulièrement inquiétant. Selon un rapport de la Banque centrale publié en octobre, plus de 13 millions de Russes avaient au moins trois emprunts au premier semestre 2022, un chiffre en hausse de 20% sur un an.
En moyenne, les Russes endettés doivent rembourser 1,4 million de roubles, soit près de 13 000 euros. Beaucoup cumulent les prêts bancaires puis se tournent vers des organismes de microfinance aux taux encore plus élevés pour tenter de rembourser leurs premières dettes. Un cercle vicieux dans lequel de nombreux Russes se retrouvent piégés.
Une mesure qui pose question sur le plan éthique
Si cette loi peut apparaître comme une bouée de sauvetage pour des milliers de Russes surendettés, elle soulève néanmoins de sérieuses questions éthiques. N’est-ce pas une forme de chantage que de pousser des citoyens désespérés financièrement à risquer leur vie sur un champ de bataille en échange d’un effacement de leurs dettes ?
Certains y voient une manière détournée pour le Kremlin de reconnaître implicitement les difficultés qu’il rencontre pour recruter suffisamment de combattants, neuf mois après le début de l’invasion de l’Ukraine. Une situation qui contraint Vladimir Poutine à recourir à des incitations financières discutables pour garnir les rangs de son armée.
L’Ukraine aussi propose des avantages à ses soldats
De l’autre côté du front, l’Ukraine dispose également d’une législation octroyant des conditions préférentielles à ses combattants en matière de prêts bancaires. Dans certains cas, les soldats ukrainiens peuvent même bénéficier d’une annulation pure et simple de leurs dettes.
Mais le contexte est bien différent, l’Ukraine étant un pays envahi qui tente de défendre son territoire et sa souveraineté face à l'”agression” russe, comme le martèle régulièrement le président Volodymyr Zelensky. Kiev n’a ainsi pas besoin de mesures incitatives aussi fortes que Moscou pour motiver ses troupes, portées par un élan patriotique.
Effacer les dettes contre un engagement au front, c’est une forme de chantage moral inacceptable. L’État ne devrait pas jouer avec la détresse financière de ses citoyens les plus vulnérables pour les pousser à aller mourir dans une guerre absurde.
– Un défenseur des droits humains en Russie
Cette nouvelle loi russe apparaît donc comme le symptôme d’un enlisement du conflit en Ukraine et des difficultés grandissantes de Moscou à poursuivre ses opérations militaires. Reste à savoir si cette incitation financière sera suffisante pour convaincre des milliers de Russes d’aller risquer leur vie contre la promesse d’un effacement de leurs dettes. Une équation pour le moins troublante.