José “Pepe” Mujica, 89 ans, icône de la gauche uruguayenne admirée dans le monde pour sa frugalité légendaire et son humanisme, livre son ultime combat politique. Malgré un cancer et des difficultés à se mouvoir, l’ancien président (2010-2015) mène sans relâche la campagne pour le second tour de la présidentielle de dimanche, avec l’espoir de ramener la gauche au pouvoir.
Le dernier round d’une figure emblématique
Bien avant le premier tour remporté par son disciple Yamandu Orsi, un des fondateurs du Mouvement de participation populaire, “Pepe” a été érigé en figure de proue du Frente Amplio, la coalition de gauche historique. Se déplaçant avec une canne et parfois en fauteuil roulant, il multiplie interviews et meetings à travers le pays pour galvaniser les troupes.
Il faut qu’on se sorte de cette ornière.
– José Mujica, dans un spot de campagne
Pour les analystes, Mujica joue un rôle clé de stratège malgré sa santé fragile. Face à un scrutin qui s’annonce serré, sa présence sur le terrain est jugée indispensable pour mobiliser l’électorat de gauche et séduire les indécis.
Un verbe polémique et sans concession
Fidèle à sa réputation, “Pepe” n’hésite pas à créer la polémique avec son franc-parler légendaire. Il a récemment fustigé le président sortant de droite Luis Lacalle Pou pour son train de vie, lui reprochant d’avoir “une moto à 50 000 dollars” et “deux camionnettes”. Des attaques qui ont suscité un appel au calme de Lacalle Pou et une prise de distance embarrassée du candidat Orsi, contraignant Mujica à des excuses publiques pour la forme, mais pas sur le fond.
Je sais que je dis des choses qui font grincer et qui font mal. Mais pas de chance, à quasi 90 ans j’estime avoir le droit de dire sincèrement ce que je pense.
– José Mujica, assumant sa liberté de parole
Un philosophe humaniste en fin de vie
Au crépuscule de sa vie, celui qui fut surnommé “le président le plus pauvre du monde” pour avoir reversé la quasi-totalité de son salaire à des œuvres sociales, se mue en philosophe de l’essentiel. Pourfendeur de la société de consommation, il martèle ses idéaux de justice sociale, de défense des petits commerces et de l’agriculture familiale face aux grandes surfaces.
Travailler pour vivre est une chose, vivre pour travailler en est une autre.
– José Mujica, défendant sa vision de la vie
Conscient que la fin est proche, “Pepe” s’interroge avec lucidité sur le sens de l’existence et le poids de son héritage. Dans ce qui ressemble à une tournée d’adieu, il a confessé avoir “rêvé bien plus que ce qu’il a pu réaliser”, tout en martelant que “le passé est révolu” et que “seul demain compte”.
L’ultime appel du pied aux indécis
Pour les experts, l’omniprésence médiatique de Mujica dans cette dernière ligne droite vise clairement à remobiliser les abstentionnistes et les électeurs les moins politisés, notamment les jeunes, pour les inciter à glisser le bulletin Orsi dans l’urne dimanche. Une sorte de baroud d’honneur pour ce personnage hors norme, qui semble aller au bout de lui-même pour offrir une victoire posthume à son camp politique.
C’est un personnage provocateur, disruptif, avec des éclats langagiers, mais qui aujourd’hui construit d’une certaine manière une épopée où malgré sa maladie il va au bout de lui-même pour la victoire d’Orsi.
– Eduardo Bottinelli, sociologue uruguayen
À quelques jours du scrutin crucial, les Uruguayens retiennent leur souffle. José Mujica parviendra-t-il, dans un dernier baroud d’honneur, à faire gagner son poulain et à ramener la gauche au pouvoir ? Réponse dimanche. Mais quel que soit le résultat des urnes, “Pepe” aura marqué l’histoire de son pays et restera une figure politique singulière, dont l’aura dépasse largement les frontières de ce petit pays coincé entre les géants brésilien et argentin.
