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Insécurité à Saint-Nazaire : La Poste s’adapte aux points de deal

Saint-Nazaire : La Poste obligée de s'adapter face à l'insécurité grandissante autour des points de deal. Une mesure choc envisagée pour protéger les facteurs : la distribution du courrier en dehors des heures d'activité des trafiquants. Mais jusqu'où ira cette spirale ?

Dans le quartier de la Bouletterie à Saint-Nazaire, les habitants du 45 rue Auguste Renoir ne reçoivent plus leur courrier depuis deux semaines. En cause : les coups de feu tirés à proximité d’un point de deal qui ont conduit le directeur de La Poste à suspendre les tournées des facteurs par mesure de sécurité. Une situation symptomatique des difficultés rencontrées par les services publics dans certaines zones gangrénées par les trafics.

Quand les points de deal font la loi

Selon une source proche du dossier, c’est suite à des tirs à proximité immédiate d’un point de revente de stupéfiants que la décision a été prise. “Nos agents ont été pris pour cible, on ne pouvait pas laisser passer ça”, confie un responsable sous couvert d’anonymat. Une énième illustration de l’emprise des réseaux qui rend de plus en plus compliquée l’action des services de l’État dans ces quartiers.

Car si les guets-apens visant policiers et pompiers défrayent régulièrement la chronique, les facteurs sont eux aussi de plus en plus exposés aux violences sur ces territoires. Caillassages, vols de courrier, agressions verbales voire physiques… Leur simple présence est perçue comme une intrusion par les trafiquants qui veulent garder le contrôle de “leurs” rues.

Une mesure radicale à l’étude

Pour tenter de concilier continuité du service public et sécurité de ses agents, la direction nazairienne de La Poste envisage donc une solution pour le moins novatrice. L’idée ? Décaler les horaires de distribution du courrier en dehors des périodes d’activité des points de deal, généralement de la fin d’après-midi jusqu’au cœur de la nuit.

“On essaye de s’adapter au “rythme” du quartier en quelque sorte, même si c’est assez surréaliste”

confie un cadre de La Poste

Concrètement, les facteurs pourraient intervenir très tôt le matin, quand les guetteurs et les revendeurs sont censés être moins présents et vigilants. Mais cette piste suscite de vives réserves en interne. “C’est quand même ahurissant d’en arriver là, on marche sur la tête!”, s’emporte un délégué syndical qui dénonce une “capitulation en rase campagne”.

Les pouvoirs publics dépassés

Au delà du cas nazairien, c’est bien l’impuissance des pouvoirs publics face aux points de deal qui est pointée du doigt. Malgré les coups de filet réguliers et les saisies records, le trafic perdure et gangrène des quartiers entiers, de Marseille à Roubaix en passant par Nîmes ou Villetaneuse.

Les ralliements de plus en plus fréquents de mineurs, attirés par l’argent facile, et la sophistication croissante des réseaux (recours massif aux réseaux sociaux, portables cryptés…) compliquent singulièrement la tâche des forces de l’ordre. Sans parler des écueils de la réponse pénale, souvent jugée trop timorée ou laxiste.

“Le problème, c’est que quand on attrape un guetteur ou un chouf, il est remplacé dans la minute. La machine ne s’arrête jamais.”

résume fataliste un enquêteur spécialisé

Des quartiers sous haute tension

Résultat : des quartiers entiers passent sous la coupe des caïds, qui recrutent localement une main d’œuvre corvéable et remplaçable à l’envi. Avec à la clé une dégradation notable des conditions de vie des habitants, confrontés aux nuisances du deal (bruit, irruptions dans les halls, occupation de l’espace public…) et à un sentiment permanent d’insécurité.

Sans compter les risques de violences accrues, comme en témoignent les fusillades de plus en plus fréquentes sur fond de guerres de territoire ou de règlements de compte. Des “embrouilles” qui dégénèrent à la kalachnikov et font régulièrement des victimes collatérales, achevant de transformer ces cités en zones de non-droit.

Un enjeu de société majeur

Face à cette gangrène qui semble inexorable, les pouvoirs publics semblent bien démunis. Plans stups, GIR (Groupes Interministériels de Recherche), ISS (Intervals de Sécurité Urbaine)… Au fil des années, les dispositifs se sont empilés sans réussir à endiguer durablement le phénomène.

Plus grave encore, cette résignation rampante face aux points de deal conduit à une forme d’acceptation voire de banalisation dans certains quartiers. “Les gamins grandissent avec l’idée que tenir un point de deal, c’est un métier comme un autre”, s’alarme un éducateur. “Pour beaucoup, c’est même un modèle de réussite!”

C’est dire si au delà du seul volet répressif, c’est aussi sur le terrain de la prévention et de l’accompagnement social que les efforts doivent être portés. Car derrière la lutte contre les trafics, c’est bien un pan entier du pacte républicain qui vacille dans ces territoires relégués. Quand La Poste en vient à décaler ses tournées pour s’adapter aux horaires des dealers, c’est un symbole de plus de ce délitement progressif de l’État de droit. Un signal alarmant que les pouvoirs publics ne peuvent plus ignorer au risque de voir s’installer durablement une société parallèle avec ses propres lois. L’urgence est là, et elle est à la fois sécuritaire, sociale et politique. Il y a le feu au pied des tours. Et il ne suffira pas cette fois de décaler la distribution du courrier pour l’éteindre.

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