Le paysage politique est en pleine mutation en Afrique australe. Les partis historiques qui dirigent sans partage depuis l’indépendance sont confrontés à une vague de contestation croissante. Des mouvements de dégagisme secouent la région, portés par une jeunesse avide de changement et déçue par des décennies de promesses non tenues.
La fin de l’hégémonie des partis de la libération ?
L’année 2024 a été particulièrement funeste pour les partis issus des mouvements de libération en Afrique australe. En quelques mois, des bastions sont tombés les uns après les autres :
- En Afrique du Sud, l’ANC a perdu la majorité absolue pour la première fois depuis la fin de l’apartheid.
- Au Botswana, le parti démocratique a été renversé après près de 60 ans de règne.
- Au Mozambique, le Frelimo fait face à une contestation de rue virulente suite à des élections controversées.
D’après les analystes, ce phénomène s’explique en partie par la chronologie. L’indépendance et la démocratisation sont arrivées plus tardivement dans ces pays, dans les années 90. Les générations nées après la libération, les “born frees”, représentent désormais une part importante de l’électorat.
Les générations précédentes étaient peut-être plus disposées à se sacrifier et à accepter des résultats médiocres.
Nic Cheeseman, spécialiste de politique africaine à l’université de Birmingham
Une jeunesse déçue et hyperconnectée
Si les plus jeunes se détournent de ces partis installés au pouvoir, c’est avant tout en raison de leur bilan économique. En Namibie, le chômage touchait 46% des 15-34 ans en 2018, soit presque le triple de la moyenne générale. Ces “born frees” ont grandi avec les promesses de leurs aînés, sans en voir les fruits.
Cette jeunesse a aussi pour particularité d’avoir grandi avec le numérique. Cela change la donne en politique, en leur permettant de s’informer et s’exprimer en dehors des médias traditionnels souvent contrôlés par l’État. Au Mozambique par exemple, l’opposant Venancio Mondlane rassemble une centaine de milliers de personnes lors de ses lives Facebook.
Une frustration qui dépasse les générations
Mais le mécontentement ne se limite pas aux jeunes électeurs. Comme l’explique Christopher Vandome, chercheur au Chatam House, en s’appuyant sur des sondages menés dans les townships sud-africains :
La génération plus âgée a le sentiment d’un manque de justice transitionnelle après tant d’années de l’ANC au pouvoir. Il y a cette frustration de voir que le parti s’enrichit en quelque sorte mais ne répond pas aux besoins des gens ordinaires.
Un constat qui vaut pour l’ensemble de la région, où les scandales de corruption ont éclaboussé la plupart des partis de la libération. Sans parler de l’épineuse question de la redistribution des terres, qui reste un sujet brûlant de la Namibie à l’Afrique du Sud.
La Namibie, prochain bastion à tomber ?
C’est dans ce contexte que la Namibie s’apprête à voter le 27 novembre. Le scrutin s’annonce serré pour la Swapo, au pouvoir depuis l’indépendance en 1990. D’après Christopher Vandome, la vague de changement qui a balayé les pays voisins pourrait bien influencer le vote :
Avec cette vague de transitions, le parti au pouvoir, la Swapo, n’est pas tranquille.
Les prochains mois diront si les partis historiques de la région ont su tirer les leçons de ces revers électoraux pour se réinventer, ou s’ils sont condamnés à céder la place à une nouvelle génération de dirigeants. Une chose est sûre : le vent du changement souffle plus que jamais sur l’Afrique australe.