C’est une décision qui fait polémique. Les États-Unis ont annoncé leur intention de fournir des mines antipersonnel à l’Ukraine pour ralentir l’avancée des troupes russes. Une volte-face surprenante de l’administration Biden qui avait pourtant promis en juin 2022 de ne plus produire ni exporter ces armes interdites par la Convention d’Ottawa, ratifiée par 164 pays. Plusieurs ONG montent au créneau pour dénoncer un choix “injustifiable” et “désastreux” aux lourdes conséquences humanitaires.
Des armes aveugles aux effets dévastateurs
Enterrées ou disséminées au sol, les mines antipersonnel explosent au contact d’une personne, provoquant mutilations et décès. Elles “ne font pas la différence entre soldats et civils” et continuent de tuer bien après la fin des conflits, souligne Alma Taslidzan, experte chez Handicap International. En Bosnie-Herzégovine, la contamination aux mines reste massive 30 ans après la guerre malgré d’importants efforts de déminage.
Depuis l’invasion russe en février 2022, Moscou a largement déployé ces engins explosifs en Ukraine, faisant de nombreuses victimes civiles. Selon l’Observatoire des mines, au moins 580 Ukrainiens ont été tués ou blessés par des mines en 2023, plaçant le pays au 4e rang mondial le plus touché.
Washington revient sur ses engagements
Face à l’urgence militaire, les partisans de l’envoi de mines à Kiev y voient un “outil de défense” pour freiner l’avancée russe. Mais pour les ONG, “les conséquences à long terme dépassent les avantages à court terme”. Une position que les États-Unis semblaient partager en renonçant à l’utilisation de ces armes hors de la Corée en juin 2022.
Mary Wareham, de Human Rights Watch, trouve donc “ahurissant que la Maison Blanche revienne sur sa propre politique pour transférer des mines à l’Ukraine qui a elle-même signé le traité les interdisant”. D’autant que ces mines “obsolètes”, vieilles de plus de 27 ans, comportent des risques de dysfonctionnement.
Une brèche dans le droit international humanitaire
Si Washington assure que les mines fournies seront équipées de mécanismes d’autodestruction ou d’autodésactivation pour réduire les dégâts sur les civils, ceux-ci ne sont “pas fiables à 100%”. Cette décision “affaiblit réellement” la Convention d’Ottawa et “donne une excuse à d’autres États pour violer le traité” s’alarme Alma Taslidzan.
Les armes chimiques ou nucléaires pourraient aussi empêcher les Russes d’avancer, et pourtant nous n’empruntons pas ce chemin
Mary Wareham, Human Rights Watch
Certaines armes, dont les mines antipersonnel, ont été jugées “inacceptables aux yeux du monde” rappelle Mary Wareham. Leur utilisation par l’Ukraine, sous prétexte d’un soutien américain “indispensable”, ouvre une brèche dangereuse dans le droit international humanitaire. La Campagne internationale pour interdire les mines exhorte Kiev à “affirmer clairement qu’elle ne peut accepter ces armes”.
L’Ukraine face à un dilemme moral et stratégique
Tiraillée entre la nécessité militaire immédiate et le respect du droit humanitaire, l’Ukraine se trouve face à un dilemme. Accepter ces mines reviendrait à renier ses engagements internationaux et s’exposer à de vives critiques. Mais les refuser priverait Kiev d’un moyen de défense, certes controversé, mais peut-être salvateur à court terme pour enrayer la progression russe.
Une chose est sûre : l’utilisation de ces armes, par quelque belligérant que ce soit, laissera des séquelles durables bien après la fin de la guerre. Les civils en seront les premières victimes pendant des décennies. Le choix de Washington de rouvrir la boîte de Pandore des mines antipersonnel est lourd de conséquences et ne manquera pas de soulever un tollé international.