Dans les collines ensoleillées de Bourgogne, berceau des plus prestigieux vignobles de France, se cache une réalité bien sombre. Un couple de recruteurs vient d’être condamné par la justice pour avoir soumis des vendangeurs roumains à des conditions de travail et d’hébergement indignes, un jugement qui lève le voile sur un système d’exploitation trop souvent ignoré.
Traite d’êtres humains dans les vignes de Meursault
C’est à Meursault, haut-lieu des vins de Bourgogne où certains grands crus se vendent à des centaines d’euros la bouteille, que le scandale a éclaté. Lors des vendanges 2023, une quarantaine de saisonniers roumains y étaient logés dans ce que le tribunal a qualifié de « camp de fortune ». Un seul sanitaire, pas d’eau potable, des conditions d’hébergement sordides pour ces travailleurs vulnérables venus chercher un gagne-pain.
Le couple de prestataires de services, qui recrutait pour certains des plus grands domaines de la région, a été reconnu coupable de « traite d’êtres humains » et de « soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes ». Leur avocat a dénoncé une condamnation « injuste », arguant que la responsabilité de l’hébergement devrait être partagée avec les domaines eux-mêmes.
8 mois de prison avec sursis
Le tribunal correctionnel de Dijon n’a pas suivi ces arguments. Il a condamné les deux recruteurs à 8 mois de prison avec sursis, 5000 € d’amende et une interdiction d’exercer leur activité professionnelle pendant 1 an. L’intermédiaire roumain chargé de ramener les saisonniers a écopé d’un an de prison avec sursis. Des peines en-deçà des réquisitions du procureur, qui avait demandé 2 ans avec sursis pour le mari, 18 mois pour la femme.
Un système de sous-traitance en question
Ce procès met en lumière les dérives d’un système de plus en plus répandu : le recours à des agences prestataires pour recruter les vendangeurs. Un système qui permet aux domaines de se décharger de leurs responsabilités en termes d’hébergement et de conditions de travail. En Champagne, la moitié des saisonniers sont ainsi recrutés par des intermédiaires. Avec parfois des conséquences tragiques, comme en témoigne le décès de 4 d’entre eux lors des vendanges 2023, dans un contexte de canicule.
Personne ne veut héberger les vendangeurs, y compris les domaines qui se déchargent sur les prestataires
L’avocat du couple de recruteurs condamné
Une réalité criante que les mis en cause ont tenté de faire valoir pour leur défense. « Personne ne veut héberger les vendangeurs », y compris « les domaines » qui « se déchargent sur les prestataires », a plaidé leur avocat, en vain. Si le tribunal les a relaxés pour « travail dissimulé », il a clairement établi leur responsabilité dans le traitement indigne de cette main d’œuvre vulnérable.
Une main d’œuvre invisible et exploitée
Derrière l’image prestigieuse des grands vins français, se cache une réalité peu reluisante. Chaque année, des milliers de saisonniers, souvent originaires d’Europe de l’Est, viennent s’échiner dans les vignes pour des salaires de misère. Logés dans des conditions précaires, soumis à des cadences infernales, ils constituent une main d’œuvre invisible et exploitable à merci.
Ce procès aura eu le mérite de braquer les projecteurs sur leur situation. Mais au-delà de la condamnation de quelques intermédiaires peu scrupuleux, c’est tout un système qu’il faudrait revoir. Car tant que la pression sur les coûts primera sur la dignité humaine, il y aura toujours des vendangeurs roumains, bulgares ou polonais pour dormir dans des camps de fortune au pied des plus prestigieux vignobles de France.