C’est un événement d’une portée historique qui se déroule actuellement en Irak. Pour la première fois en près de quatre décennies, le pays organise un recensement national couvrant l’intégralité de son territoire. Cette initiative, longtemps retardée en raison des conflits récurrents et des dissensions dans ce pays multi-confessionnel et multi-ethnique, soulève de nombreuses questions et enjeux.
Un recensement attendu de longue date
Le dernier recensement irakien remonte à 1997, mais il avait alors exclu les trois provinces du Kurdistan, région autonome depuis 1991. Il faut remonter à 1987 pour trouver trace du dernier comptage couvrant l’ensemble des 18 provinces du pays. Selon les estimations officielles, l’Irak compterait aujourd’hui quelque 44 millions d’habitants, dont plus de 40% âgés de 15 ans ou moins.
Pour mener à bien cette opération d’envergure, pas moins de 120 000 agents recenseurs seront déployés à travers le pays. Pendant deux jours, un couvre-feu obligera les familles à rester chez elles pour leur ouvrir la porte, sauf cas de force majeure.
Des enjeux démographiques et budgétaires
Au-delà du simple dénombrement, ce recensement revêt une importance capitale pour l’Irak. Comme le souligne le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani, il doit venir soutenir “le développement et la planification dans tous les domaines” et contribuer au “progrès” d’un pays dont les infrastructures sont en déliquescence après des décennies de conflits.
Les données collectées, allant de la situation professionnelle à l’équipement des foyers en passant par l’état de santé et le niveau d’éducation, doivent permettre de dresser un état des lieux précis de la population et faciliter l’élaboration de politiques publiques efficaces, comme le souligne le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) qui épaule les autorités dans cette tâche.
Les résultats seront aussi scrutés pour des raisons budgétaires. La constitution prévoyant un député pour 100 000 habitants, la répartition des sièges au Parlement devra être ajustée en fonction des nouveaux chiffres officiels.
Des tensions autour des territoires disputés
Mais ce recensement fait aussi resurgir les tensions, notamment concernant les territoires disputés entre communautés kurde, arabe et turcomane dans le nord de l’Irak. Kirkouk, ville riche en pétrole revendiquée par les Kurdes et les Arabes, a longtemps cristallisé les crispations.
Côté kurde, on craint que le recensement ne confirme une modification de l’équilibre démographique dans ces zones. “Si on regarde les recensements passés, le nombre de Kurdes a progressivement diminué dans les régions kurdes hors du Kurdistan autonome”, note Fahmi Burhane, responsable du dossier des territoires disputés au sein du gouvernement régional du Kurdistan.
Pour tenter d’apaiser ces inquiétudes, Bagdad a accepté que dans ces territoires sensibles, seuls les descendants des familles déjà présentes lors du recensement de 1957 soient comptabilisés. Les populations arrivées après, souvent dans le cadre de la politique d’arabisation forcée menée par Saddam Hussein, seront recensées dans leur province d’origine.
Un pays en quête de stabilité
Au-delà des chiffres, ce recensement est aussi le symbole des efforts de l’Irak pour tourner la page de décennies de violences et de divisions. Après la guerre confessionnelle qui a suivi l’invasion américaine de 2003 et la montée en puissance du groupe État islamique à partir de 2014, le pays tente de retrouver une certaine stabilité, même si les plaies sont encore vives.
Les défis restent immenses, qu’il s’agisse de rebâtir les infrastructures, de relancer l’économie ou de réconcilier les communautés. Mais ce recensement, par les données précieuses qu’il doit fournir, constitue une étape importante pour permettre à l’Irak de se projeter enfin vers l’avenir. Les résultats, attendus d’ici la fin de l’année, seront scrutés de près, tant par les Irakiens que par la communauté internationale.