Dans un revirement historique, le Royaume-Uni a décidé de renationaliser progressivement son réseau ferroviaire, trois décennies après une privatisation qui avait suscité de vives controverses. Cette réforme majeure, portée par le nouveau gouvernement travailliste, vise à remettre le rail britannique sur de bons rails après des années de dysfonctionnements et de grogne des usagers. Retour sur les raisons d’un échec et les enjeux d’une renationalisation qui s’annonce délicate mais porteuse d’espoir.
Une privatisation sous le signe du libéralisme
C’est en 1992 que le gouvernement conservateur de John Major lance le projet de privatisation du rail, dans la lignée de la politique libérale de Margaret Thatcher. L’objectif affiché est ambitieux : améliorer la qualité du service, dynamiser les investissements et réduire la facture pour l’État. Mais le projet est loin de faire l’unanimité. Syndicats, opposition, et même certains conservateurs montent au créneau, soutenus par une opinion publique majoritairement hostile.
Malgré cette levée de boucliers, la loi est adoptée en 1993. S’ensuit un découpage complexe de l’ancien monopole public British Rail, avec l’attribution de concessions à une myriade d’opérateurs privés. Les licences d’exploitation sont octroyées progressivement, d’abord pour les lignes les plus rentables, contre une redevance parfois symbolique. En échange de subventions publiques, les repreneurs s’engagent à investir pour moderniser le réseau vieillissant.
Les ratés d’un système éclaté
Si la fréquentation augmente dans un premier temps, les problèmes ne tardent pas à s’accumuler. Retards et annulations sont monnaie courante, les prix des billets s’envolent sur certaines liaisons, et la qualité du service laisse à désirer. Un grave accident en 2000, causé par des fissures dans les rails, jette une lumière crue sur les défaillances du système.
Sous contrôle public, il est très difficile d’apporter des changements.
Taku Fujiyama, professeur spécialiste des transports à l’University College de Londres
Face aux difficultés, le gouvernement de Tony Blair est contraint de reprendre la main. Le réseau est confié à une société privée sans actionnaire, Network Rail, financée par l’État et les concessionnaires. Une quasi-renationalisation qui ne dit pas son nom. Certains opérateurs défaillants sont même temporairement nationalisés. Mais les subventions publiques continuent de couler à flots pour maintenir le système à flot.
Le grand soir de la renationalisation
Arrivés au pouvoir en 2022, les travaillistes décident de trancher dans le vif. Leur projet de loi prévoit de regrouper progressivement les opérateurs privés, au fil de l’expiration des contrats de concession, dans un nouvel organisme baptisé Great British Railways. L’objectif est de simplifier le système, d’améliorer la coordination et de redonner la priorité au service public.
Selon un récent sondage, 77% des Britanniques jugent les billets de train trop chers, et 51% se plaignent des retards à répétition. Une large majorité soutient donc le projet de renationalisation, même si certains points positifs de la privatisation sont reconnus, comme la qualité du matériel roulant ou la diversité des destinations.
Vers une réforme en douceur
Plutôt qu’une renationalisation brutale, le gouvernement a opté pour une approche graduelle et pragmatique. Les contrats de concession seront honorés jusqu’à leur terme, certains courant jusqu’en 2030. La transition vers le modèle public intégré se fera donc en douceur, avec un rôle amoindri mais toujours présent des opérateurs privés pendant quelques années.
Ce calendrier étalé doit permettre d’assurer la continuité du service et de ne pas fragiliser un secteur déjà mis à mal par la pandémie de Covid-19. La fréquentation s’est effondrée avec les confinements successifs, creusant le déficit et fragilisant l’ensemble du système. Les pouvoirs publics ont dû mettre la main à la poche, avec près de 12 milliards de livres injectés entre 2022 et 2023.
Les défis d’un nouveau départ
Si la renationalisation semble faire consensus, sa mise en œuvre s’annonce délicate. Il faudra trouver le bon équilibre entre harmonisation et maintien d’une saine émulation. La question de la dette, du financement des investissements et celle des droits des salariés des sociétés privées restent en suspens. Des sujets épineux alors que le rail britannique, comme tous les services publics, sort affaibli par des années d’austérité.
Mais malgré ces incertitudes, un vent d’optimisme semble souffler sur les voies ferrées du royaume. Comme un symbole d’un pays en quête d’un nouveau départ après le Brexit et la pandémie. Le pari de la renationalisation est loin d’être gagné, mais il ouvre la voie à un système ferroviaire plus intégré, plus équitable et, espérons-le, plus efficace. Les usagers britanniques, longtemps restés à quai, attendent désormais leur train avec une impatience teintée d’espoir.