Nommé Premier ministre dans un contexte politique particulièrement fragmenté, Michel Barnier se retrouve face à une équation des plus complexes. Sa mission : répondre aux colères grandissantes des Français, des agriculteurs aux gilets jaunes, tout en composant avec des moyens financiers limités et une assise politique fragile. Un véritable casse-tête qui semble, à bien des égards, insurmontable.
Une équation politique insoluble ?
L’arrivée de Michel Barnier à Matignon a suscité de nombreux espoirs. Mais très vite, l’ampleur de la tâche s’est révélée. Gouverner avec un “socle commun” minoritaire et hétéroclite relève de la gageure. Sans parler de l’épée de Damoclès que représente la menace d’une motion de censure pouvant être votée à tout moment par des oppositions aux aguets.
Une situation inédite sous la Vème République qui met en lumière les limites de nos institutions face à un paysage politique morcelé. Là où d’autres pays, à l’instar de l’Allemagne, parviennent à faire émerger des consensus via la culture du compromis, la France semble avoir du mal à s’adapter.
La Vème République a été pensée pour des majorités fortes, pas pour la recherche permanente de consensus.
Un constitutionnaliste
Répondre aux attentes des Français
Au-delà des enjeux institutionnels, c’est bien la question de la réponse aux attentes des citoyens qui cristallise toutes les tensions. Des services publics à l’abandon, un système de santé à bout de souffle, un pouvoir d’achat en berne… Les motifs de colère ne manquent pas.
Face à ce constat, le Premier ministre devrait, selon certaines sources, se replonger dans les fameux “cahiers de doléances” rédigés lors de la crise des gilets jaunes. Des milliers de contributions qui n’ont, pour la plupart, jamais été exploitées. L’exécutif y verrait une opportunité de renouer le dialogue et de montrer qu’il est à l’écoute.
Colère dans les campagnes
Mais la fronde ne se limite pas aux centres urbains. Dans les campagnes aussi, le mécontentement gronde. En témoignent les récentes manifestations d’agriculteurs exigeant des mesures d’urgence face à une situation économique jugée dramatique. Revenus en berne, normes environnementales de plus en plus contraignantes, accords de libre-échange menaçant la survie de certaines filières… Ici encore, le gouvernement va devoir faire preuve d’inventivité pour apaiser les esprits.
Plans sociaux en cascade
Sur le front social aussi, les nuages s’amoncellent. Avec la crise, les plans sociaux se multiplient, mettant des milliers de familles dans la précarité. Une situation d’autant plus délicate à gérer que l’exécutif ne dispose que de marges de manœuvre limitées pour amortir les chocs.
Entre injonctions budgétaires et impératif de ne pas creuser davantage les inégalités sociales, Michel Barnier marche sur un fil. Chaque décision est scrutée, décortiquée, et suscite son lot de critiques, venant de tous les bords politiques.
- Répondre à l’urgence sociale et économique
- Renouer le dialogue avec les territoires et la société civile
- Dégager des marges de manœuvre budgétaires
Le Premier ministre est un pompier chargé d’éteindre des incendies, mais avec une lance à incendie quasiment vide.
Un proche de Matignon
Tenir dans la durée ?
S’ajoute à cette équation déjà complexe la question de la durée. Car pour beaucoup d’observateurs, l’attelage gouvernemental actuel semble condamné à vivre au jour le jour, sans réelle visibilité. Une instabilité chronique qui complique encore davantage l’action de l’exécutif.
Pourtant, Michel Barnier veut croire qu’il est possible, à force de dialogue et de pédagogie, de retisser des liens entre le sommet de l’État et la population. Un pari audacieux, presque une gageure, mais qui témoigne d’une réelle volonté de ne pas baisser les bras face à l’ampleur de la tâche.
L’heure des choix
Mais au-delà des incantations et des bonnes intentions, le Premier ministre va rapidement devoir passer aux actes. Et faire des choix. Des choix qui ne seront pas sans conséquences et qui risquent de lui attirer les foudres de certaines parties de l’opinion. Car il est illusoire de penser pouvoir contenter tout le monde. Des arbitrages douloureux devront être faits.
À commencer par la question des retraites, dossier explosif s’il en est. Alors que de nombreux experts plaident pour un nouveau report de l’âge légal, arguant des impératifs démographiques et financiers, une telle décision risque de provoquer un tollé dans une partie de la population, déjà échaudée par les précédentes réformes.
C’est toute l’ambiguïté de la position de Michel Barnier. Pris en étau entre les attentes contradictoires des Français et les réalités budgétaires, il doit avancer sur un chemin de crête des plus périlleux. Avec le risque constant de se mettre à dos une partie de l’opinion, sans pour autant contenter l’autre.
Un défi presque insurmontable ?
Répondre aux urgences du quotidien tout en préparant l’avenir, renouer le dialogue social sans renier les fondamentaux de son action, rassurer les marchés financiers sans sacrifier la cohésion nationale… Autant de défis qui peuvent sembler insurmontables. Surtout dans un contexte de défiance généralisée envers le politique.
Pourtant, Michel Barnier semble déterminé à ne pas baisser les bras. Fort de son expérience d’élu local et de négociateur européen, il veut croire qu’il est possible, à force de dialogue et de pédagogie, de retisser des liens entre le sommet de l’État et les citoyens. Une ambition louable, mais qui se heurte à des obstacles structurels profonds.
Car au-delà de la question des moyens, c’est bien la question de la méthode qui est posée. Comment gouverner un pays profondément fracturé, où chaque décision est contestée avant même d’être appliquée ? Comment redonner du sens et de la légitimité à l’action publique dans une société en perte de repères ? Autant de questions auxquelles le Premier ministre va devoir s’atteler, sans garantie de succès.
Un premier bilan mitigé
Alors que s’achèvent les 100 premiers jours du gouvernement Barnier, le bilan apparaît pour le moins mitigé. Certes, le Premier ministre peut se prévaloir de quelques avancées, notamment sur le front du pouvoir d’achat avec des mesures ciblées en faveur des plus modestes. Mais dans l’ensemble, le sentiment qui domine est celui d’un exécutif qui peine à imprimer sa marque et à inverser la courbe de la défiance.
Il faut dire que les signaux contradictoires envoyés par la majorité n’aident pas à la lisibilité de l’action gouvernementale. Entre les tenants d’une ligne dure sur les questions régaliennes et les partisans d’une approche plus sociale, Michel Barnier doit en permanence composer, au risque de donner une impression de flottement.
Une situation qui n’est pas sans rappeler celle vécue par certains de ses prédécesseurs, à l’instar d’Édouard Philippe lors du premier quinquennat Macron. Avec une différence de taille cependant : là où l’ancien locataire de Matignon pouvait s’appuyer sur une majorité présidentielle solidaire, Michel Barnier doit composer avec des alliés qui n’hésitent pas à le critiquer ouvertement.
Le moindre faux pas, la moindre hésitation peuvent être fatals dans ce contexte.
Un proche de l’Élysée
Une rentrée à haut risque
Autant dire que la rentrée s’annonce particulièrement périlleuse pour l’exécutif. Avec plusieurs dossiers explosifs qui attendent le Premier ministre au tournant, à commencer par la réforme des retraites et la loi immigration. Deux textes qui cristallisent les oppositions et qui risquent de mettre le feu aux poudres, dans un climat social déjà particulièrement tendu.
S’y ajoute le risque d’un retour en force des contestations dans la rue, alors que plusieurs appels à manifester ont déjà été lancés par les syndicats et les organisations de jeunesse. De quoi craindre un automne social particulièrement agité, qui viendrait compliquer encore un peu plus l’équation politique du gouvernement.
Face à ces défis, Michel Barnier va devoir faire preuve de sang-froid et de détermination. Mais aussi et surtout d’une grande capacité d’écoute et de dialogue. Car c’est peut-être là, dans sa faculté à renouer le lien avec une opinion désenchantée, que réside la clé de son succès ou de son échec. Une mission difficile, pour ne pas dire impossible. Mais une mission à laquelle il ne peut se dérober, sauf à prendre le risque de voir le pays s’enfoncer un peu plus dans la crise.