C’est un procès hors norme qui s’ouvre ce lundi à Istanbul. Sur le banc des accusés, 47 personnes soupçonnées d’avoir mis en place un vaste système de fraude à la sécurité sociale, causant la mort d’au moins dix nouveau-nés. Ce scandale, le pire drame sanitaire qu’ait connu la Turquie ces dernières années, suscite une vive émotion dans le pays.
Un réseau impliquant hôpitaux, médecins et ambulanciers
L’acte d’accusation, long de près de 1400 pages, dresse les contours de cette sombre affaire. Un réseau mêlant patrons d’hôpitaux privés, médecins, opérateurs de centres d’appels d’urgence et ambulanciers est soupçonné d’avoir délibérément placé et maintenu des nourrissons en bonne santé dans les unités de soins intensifs néonatales de certains établissements. Les parents, rongés d’inquiétude, se voyaient présenter de fausses raisons médicales.
Pendant ce temps, la sécurité sociale versait chaque jour 8000 livres turques (environ 290 euros) aux hôpitaux pour chaque bébé admis, en plus des sommes déjà à la charge des familles. Les profits indus étaient ensuite partagés entre les membres de ce “gang des nouveau-nés”, comme l’a surnommé la presse turque.
Des nourrissons morts par négligence et mauvais traitements
Mais le pire restait à venir. Selon la justice, des négligences et des mauvais traitements ont conduit au décès d’au moins dix bébés dans ces unités de soins intensifs au fil des années. D’autres nouveau-nés, qui nécessitaient réellement une prise en charge, n’ont pas reçu les traitements appropriés.
La nuit où j’ai accouché, mon bébé allait bien, il était en bonne santé. Le lendemain, ils nous ont dit qu’il avait trois thromboses veineuses et souffrait d’hypertension et de détresse respiratoire (…) Puis ils nous ont dit qu’ils allaient le transférer.
Nazli Ahi, mère d’un bébé décédé
Comme Nazli Ahi, environ 350 plaintes avaient été déposées fin octobre, provenant de parents dont les nourrissons sont morts ou ont subi de graves complications suite à leur séjour injustifié en soins intensifs. Une mère éplorée confie qu’elle aurait été prête à « donner des milliards » pour récupérer son enfant en vie.
Des centaines d’années de prison encourues
Face à l’ampleur de ce drame, les autorités turques ont réagi rapidement. Neuf hôpitaux privés d’Istanbul, dont l’un appartenant à un ancien ministre de la Santé, et un établissement d’une province voisine ont été fermés. Neuf autres sont dans le viseur de la justice.
Les 47 accusés comparaissent pour « homicide volontaire par négligence », « fraude au détriment des institutions publiques » et « création d’une organisation dans le but de commettre un crime ». Ils risquent jusqu’à plusieurs centaines d’années de prison.
Le président Erdogan a promis le traitement « le plus sévère » aux « auteurs de cette barbarie » et affirme suivre l’affaire de près. Mais pour les familles endeuillées, aucune peine ne pourra réparer l’irréparable perte de ces vies à peine commencées, sacrifiées sur l’autel du profit.
Le procès du « gang des nouveau-nés », symbole des dérives du système de santé turc
Au-delà du choc et de l’émotion, cette affaire met en lumière les failles béantes d’un système de santé gangrené par la course au profit au détriment de l’éthique médicale. La Turquie, qui s’était pourtant distinguée ces dernières décennies par d’importantes réformes dans ce domaine, voit son image sérieusement écornée.
Le procès du « gang des nouveau-nés » apparaît comme un test majeur pour la justice turque. Saura-t-elle établir toutes les responsabilités et prononcer des peines à la hauteur de la gravité des faits ? C’est tout l’enjeu des audiences qui s’ouvrent à Istanbul, sous le regard attentif et endeuillé de tout un pays.