Le manga Saturn Return d’Akane Torikai, dont le tome 3 vient de paraître aux éditions Akata, fait partie de la sélection de cinq titres en compétition pour le prix ACBD Asie 2022. Cette œuvre féministe puissante met en scène une héroïne ambiguë au couple dysfonctionnel, et dénonce avec force le contrôle du corps des femmes au Japon. Rencontre avec une mangaka désormais incontournable.
Ritsuko, une héroïne complexe et attachante
Dans Saturn Return, Akane Torikai a choisi de mettre en scène Ritsuko, une héroïne ambiguë, “difficile à saisir”, qui tente de cacher son mal-être et ses blessures à son entourage. Un personnage qui résonne avec la société japonaise dans toute sa complexité, auquel on s’attache, à mesure que l’on découvre ses traumatismes.
Dans le monde de la création, beaucoup de gens semblent penser qu’un personnage principal se doit d’être très lumineux, positif, optimiste… Ce n’est pas forcément quelque chose qui m’intéresse.
Akane Torikai
Dénoncer le sexisme ordinaire
À travers son manga, Akane Torikai n’hésite pas à montrer crûment le sexisme vis-à-vis des femmes, qui passe par l’objectification de leur corps ou un mépris assumé. On sent une volonté de se mettre à la place de certains personnages qui se montrent parfois odieux, voire détestables.
En tant que femme et féministe, je souhaiterais que la misogynie disparaisse complètement mais, pour ce faire, il faut être capable de communiquer avec des gens qui ne pensent pas comme moi.
Akane Torikai
Pour la mangaka, tout le monde a intériorisé une forme de misogynie, y compris les femmes, et c’est un peu hypocrite de dire que ça ne nous concerne pas. Si on n’accepte pas cette part d’ombre, on ne sera pas capable de réparer la société.
Le contrôle du corps des femmes au cœur du débat
Dans Saturn Return, une scène de sexe montre le décalage entre deux personnages qui n’ont pas les mêmes attentes. L’objectif de l’homme est de procréer, tandis que la femme voudrait simplement ressentir de l’amour. Ce passage illustre le fait qu’au Japon, le consentement du mari est requis pour avorter chirurgicalement. La pilule abortive sera quant à elle mise sur le marché fin 2022… mais encore une fois conditionnée à l’accord du conjoint.
On dépossède les femmes de leur liberté de choisir ce qui concerne leur propre corps… C’est toujours “l’extérieur” qui veut contrôler le corps des femmes.
Akane Torikai
Akane Torikai regrette qu’au Japon, à chaque fois qu’on évoque la maternité ou la grossesse, tout le monde ait tendance à ne montrer que l’aspect idéalisé. Sous prétexte qu’il y a quelque chose de bien, il faudrait effacer les souffrances qui vont avec. C’est quelque chose que la dessinatrice a du mal à accepter depuis l’enfance.
Libérer la parole des femmes
Pour Akane Torikai, les Japonaises ne sont pas censées exprimer des émotions extrêmes au grand jour. Une pression sociale qu’elle dénonce :
Les femmes doivent toujours faire en sorte de ne pas être en colère, de rester dans des attitudes de passivité, d’écoute, d’être attentionnée… Dès qu’une femme exprime quelque chose qui ne va pas dans ce sens-là, on va tout de suite lui coller l’étiquette de “femme à problèmes”, ou même dire que “c’est monstrueux”. Les femmes doivent faire en sorte d’être agréables pour les hommes, de faciliter la vie des hommes. C’est quelque chose que je ne trouve pas normal.
Akane Torikai
La mangaka a constaté que certaines jeunes pensent que si tu n’es pas capable d’être aimée par les hommes, alors tu n’as pas de valeur. Elle trouve cela grave et problématique.
Avec Saturn Return, Akane Torikai espère favoriser l’ouverture d’un débat constructif et une libération de la parole des femmes, après l’échec du mouvement #MeToo dans l’archipel. Un manga féministe puissant qui appelle à faire évoluer les mentalités pour que les Japonaises puissent enfin disposer librement de leur corps.
