De Paris à Varsovie, en passant par Berlin et Rome, les agriculteurs européens sont vent debout contre le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays d’Amérique du Sud du Mercosur. Ils redoutent une concurrence qu’ils jugent déloyale et destructrice pour leur secteur. Pourtant, les réactions des gouvernements sont plus mitigées, seule la France affichant une opposition ferme et résolue.
Des inquiétudes légitimes pour l’avenir de l’agriculture européenne
Au cœur des préoccupations des agriculteurs européens : les exportations massives de produits agricoles sud-américains vers le Vieux Continent. Viande bovine, volaille, porc, miel, sucre… Autant de denrées qui ne seraient pas soumises aux mêmes normes environnementales, sociales et sanitaires qu’en Europe. Une différence de traitement perçue comme une menace existentielle par la profession.
Le Copa-Cogeca, qui regroupe les principaux syndicats agricoles européens, a ainsi appelé l’UE à “revoir sa copie” et à “défendre une politique commerciale portant les standards rigoureux de notre agriculture”. Un appel relayé avec force par les représentants nationaux des agriculteurs dans la plupart des grands pays producteurs.
France : fer de lance de l’opposition
En France, premier pays agricole d’Europe en valeur, la grogne est particulièrement forte. Une vaste mobilisation est annoncée dès lundi, sur fond de crise généralisée du monde paysan. La Fédération nationale bovine s’alarme notamment de “failles dans les procédures de contrôle du respect des normes sanitaires” relevées par un audit européen au Brésil. Mais selon elle, “malgré cela, la Commission européenne poursuit avec conviction les négociations qui favoriseront l’accès supplémentaire de 99 000 tonnes de viandes bovines sud-américaines”. Paris tente de rallier d’autres Etats, comme la Pologne, pour former une minorité de blocage.
Allemagne : le gouvernement change de pied
Outre-Rhin, le revirement est spectaculaire. Réticente à l’accord sous Angela Merkel, en raison notamment des atteintes à l’Amazonie, l’Allemagne a changé de tonalité avec Olaf Scholz, soucieux d’élargir les débouchés de son industrie. Un virage dénoncé par la principale association d’agriculteurs, la DBV, pour qui “il est urgent de renégocier” un texte qui “conduirait à remplacer la production nationale par des importations aux normes du siècle dernier”.
L’agriculture de l’UE ne peut survivre que si des mécanismes viennent compenser les différences entre les normes internationales et européennes.
Joachim Rukwied, président de la DBV
Espagne : le gouvernement à contre-courant
De l’autre côté des Pyrénées aussi, les syndicats agricoles disent leurs craintes, jugeant le projet “dépassé et incohérent”. Mais le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez défend mordicus le texte, “nécessaire stratégiquement” selon son ministre de l’Agriculture Luis Planas. S’il reconnaît que des filières comme l’élevage bovin pourraient trinquer, il estime que d’autres comme le vin et l’huile d’olive en profiteront.
Italie : appel à bloquer l’accord
La puissante organisation agricole italienne Coldiretti a écrit à la Première ministre Giorgia Meloni pour exprimer sa “profonde inquiétude” envers un accord aux “effets dévastateurs” pour le secteur agroalimentaire transalpin. Elle l’appelle à collaborer étroitement avec d’autres Etats membres, comme la France, “pour empêcher l’adoption de l’accord sous sa forme actuelle”. Pour l’heure, le gouvernement n’a pas officiellement pris position.
Pays-Bas : opposition ferme du syndicat majoritaire
Le principal syndicat agricole néerlandais LTO appelle carrément “à arrêter les négociations”, estimant que l’accord menacerait les secteurs avicole et sucrier du pays. Il note toutefois qu’il “pourrait être bon pour le secteur du fromage et être une opportunité pour l’horticulture”. Les quatre partis de la coalition au pouvoir seraient divisés sur le sujet.
Pologne et Autriche unis dans le rejet
Varsovie et Vienne affichent quant à eux une hostilité unanime au texte. Le ministère polonais de l’Agriculture a exprimé de “sérieuses réserves” et l’une des principales organisations paysannes a appelé le chef de gouvernement à “bloquer” le processus. En Autriche, le Parlement a adopté une résolution contre l’accord et le ministère compétent martèle qu’on ne peut “restreindre la production agricole en Europe via des normes toujours plus sévères tout en poussant des accords commerciaux de la vieille école”.
Bref, à quelques exceptions près, les agriculteurs du Vieux Continent sont majoritairement opposés à cet accord commercial dont ils redoutent les conséquences potentiellement dévastatrices. La balle est désormais dans le camp des dirigeants européens qui devront trancher entre la défense d’un secteur fragilisé et la volonté d’ouvrir de nouveaux marchés à l’industrie et aux services. Un choix cornélien aux lourds enjeux économiques, sociaux et environnementaux.