C’est un travail de longue haleine, un véritable monument de la langue française. Le Dictionnaire de l’Académie française, dont la 9ème édition vient de paraître après des décennies d’élaboration, est le fruit d’un labeur minutieux mené par les illustres Immortels. Mais que se passe-t-il réellement dans les coulisses de cette institution aussi prestigieuse que mystérieuse ? Pour la première fois, les académiciens lèvent le voile et nous confient leurs anecdotes les plus savoureuses.
Des débats passionnés et des échanges cocasses
Loin de l’image austère qu’on peut parfois leur prêter, les séances de travail des académiciens sur le dictionnaire donnent lieu à des discussions animées et souvent pleines d’humour. Le romancier Frédéric Vitoux se souvient ainsi d’un débat sur le terme “rectifier” :
J’ai suggéré d’ajouter l’expression “rectifier une sauce”. Cela avait beaucoup amusé l’assemblée, car les deux seules femmes présentes ce jour-là n’en avaient jamais entendu parler !
Frédéric Vitoux, de l’Académie française
Son confrère Amin Maalouf, actuel secrétaire perpétuel, évoque quant à lui les interminables discussions autour de mots en apparence anodins mais qui soulèvent en réalité de profondes questions :
Définir un mot comme “tragédie”, cela peut prendre des heures ! Il faut trouver une formulation qui englobe à la fois la tragédie grecque, shakespearienne, classique… Un vrai casse-tête.
Amin Maalouf, Secrétaire perpétuel de l’Académie française
Le mot “race”, un cas épineux
Parmi les définitions les plus délicates à établir, celle du mot “race” a fait l’objet d’une attention toute particulière. Face à la difficulté de la tâche, les académiciens ont même fait une entorse à leurs habitudes en sollicitant l’aide d’un expert extérieur, comme le raconte Frédéric Vitoux :
Nous avons demandé à Claude Lévi-Strauss, qui ne faisait pourtant pas partie de la commission du dictionnaire, de nous proposer une définition. Son analyse était remarquable de précision et de justesse.
Frédéric Vitoux, de l’Académie française
Régionalismes et niveaux de langue : des arbitrages subtils
Autre sujet de débat récurrent : le traitement des régionalismes et des différents niveaux de langue. Le médiéviste Michel Zink explique :
Fallait-il préciser l’origine régionale de certains mots, au risque de les stigmatiser ? Nous avons finalement opté pour une approche plus neutre, en indiquant simplement leur aire géographique d’usage.
Michel Zink, de l’Académie française
De même, la question de la prise en compte des registres familiers ou argotiques a divisé les Immortels. L’écrivain franco-britannique Michael Edwards raconte comment une catégorie “moche” a failli voir le jour :
Quelqu’un avait proposé, pour qualifier les mots jugés inélégants, de créer une mention “moche” ! Cela nous avait bien fait rire, mais nous y avons finalement renoncé.
Michael Edwards, de l’Académie française
Mots rares et néologismes : les trésors de la langue française
Si le dictionnaire recense en priorité les mots d’usage courant, les académiciens se font aussi un devoir d’y intégrer des termes plus rares ou littéraires. Michael Edwards confie son attachement à ces pépites lexicales :
J’ai proposé d’ajouter “émerveillant”, un très beau mot qu’on trouve chez certains auteurs. Je suis heureux qu’il figure désormais dans notre dictionnaire, c’est important de faire vivre ce patrimoine.
Michael Edwards, de l’Académie française
Quant aux néologismes, s’ils sont accueillis avec prudence, ils trouvent parfois grâce aux yeux des Immortels, comme en témoigne Danièle Sallenave :
J’ai défendu une acception littéraire assez audacieuse du mot “renfoncement”, au sens d’une blessure intime. Je l’avais remarquée chez plusieurs auteurs contemporains, il me semblait important de la consigner.
Danièle Sallenave, de l’Académie française
Le mot de la fin : ultime séance pleine de surprises
Enfin, comment ne pas évoquer la mémorable dernière séance de la commission, où a été examiné l’ultime mot de cette 9ème édition ? Un choix pour le moins inattendu, comme le révèle malicieusement Amin Maalouf :
Nous avons retenu “zzz”, l’onomatopée du ronflement ! Cela nous a semblé un clin d’œil amusant pour refermer ce long et passionnant voyage à travers les méandres de la langue française.
Amin Maalouf, Secrétaire perpétuel de l’Académie française
À travers ces témoignages savoureux et inédits, c’est toute la richesse du travail des académiciens sur la langue qui se dévoile. Un parfait équilibre entre rigueur et fantaisie, tradition et modernité, au service de ce géant de la lexicographie française qu’est le Dictionnaire de l’Académie. Nul doute que ces petites histoires en disent long sur les trésors qu’il recèle et nous invitent à le redécouvrir avec un regard neuf.