Selon plusieurs experts, le consensus de longue date en faveur de l’immigration au Canada est en train de s’effriter, après trois années d’augmentation massive de la population étrangère. Un phénomène qui suscite des inquiétudes quant à la capacité d’accueil du pays et à l’intégration des nouveaux arrivants.
Un défi croissant pour les immigrés
Sultana Jahangir, une travailleuse sociale bangladaise installée à Toronto depuis 2005, aide les femmes originaires d’Asie du Sud à s’établir au Canada et à intégrer le marché du travail. Un défi de plus en plus difficile selon elle. “On constate une rivalité croissante et des sentiments plus hostiles envers les nouveaux venus qu’envers ceux installés depuis longtemps”, confie-t-elle.
Si les Canadiens restent encore nombreux à voir d’un bon œil les immigrés déjà établis depuis quelques années, cette distinction se fragilise, explique Daniel Bernhard de l’Institut pour la citoyenneté canadienne. Une ONG qui facilite l’insertion des personnes arrivant au Canada.
Le Canada, champion de l’ouverture à l’immigration
Dans un sondage Gallup de 2019 évaluant le soutien à l’immigration dans 145 pays, le Canada arrivait en tête avec 94% des personnes interrogées considérant l’arrivée de migrants comme une bonne chose. Mais cinq ans plus tard, un sondage Environics révèle qu’une nette majorité de Canadiens estime désormais qu’il y a trop d’immigration. Une première en un quart de siècle.
“Nous n’en sommes pas encore au Brexit ou au mur de Donald Trump, mais cela ne devrait tarder à arriver”
Daniel Bernhard, Institut pour la citoyenneté canadienne
Un afflux sans précédent et ses conséquences
De 2021 à 2024, un afflux record de près de trois millions d’étrangers a porté la population canadienne à 41 millions d’habitants. Sur la dernière année, la croissance démographique a atteint 3,2%, du jamais vu depuis 1957. Face à cette pression, le Premier ministre Justin Trudeau a récemment annoncé une réduction des quotas d’immigration pour les trois prochaines années.
Il a reconnu que cet afflux massif avait mis à rude épreuve les capacités d’accueil du pays, avec des conséquences sur les infrastructures et les services essentiels comme la santé ou le logement. Mais réduire l’immigration est-elle vraiment la solution à ces problèmes ? Certains experts en doutent, y voyant plutôt un moyen facile de détourner l’attention des défaillances du gouvernement.
L’épineuse question de l’intégration
Pour Sultana Jahangir, les mesures prises par le gouvernement sont justifiées au vu des difficultés actuelles pour trouver un emploi ou un logement à Toronto. Certaines femmes en sont réduites à louer des lits à la demi-journée. “Celles qui travaillent de nuit prennent le lit de celles qui travaillent de jour” et inversement, raconte la quinquagénaire.
Mais pointer du doigt les immigrés n’est pas la solution selon elle. Les médias tendent aussi à lier la pénurie de logements et les lacunes des services à la surpopulation, risquant de détériorer davantage les conditions de vie des nouveaux arrivants, souligne Victoria Esses, professeur de psychologie spécialiste des attitudes envers l’immigration.
Donner aux citoyens le sentiment d’un contrôle
En réduisant les quotas, le gouvernement semble vouloir apaiser les inquiétudes et donner aux Canadiens le sentiment d’avoir un contrôle sur l’immigration. “Les citoyens aiment sentir qu’ils ont leur mot à dire sur ce sujet”, rappelle la chercheuse. Mais attention à ne pas céder à une rhétorique incendiaire et à de fausses affirmations sur les migrants, met en garde l’Institut pour la citoyenneté canadienne.
Le débat sur l’immigration s’annonce comme un enjeu majeur des prochaines années au Canada. Entre volonté d’ouverture et craintes liées à l’intégration, le pays devra trouver le juste équilibre pour préserver sa cohésion sociale. Un défi de taille qui nécessitera des politiques ambitieuses en matière d’accueil, de formation et d’insertion professionnelle des immigrés. Tout en luttant contre les préjugés et la désinformation.