Le tribunal administratif de Paris a rendu une décision qui risque de faire grand bruit. Jeudi dernier, il a en effet rejeté une requête déposée par un groupe de victimes du génocide des Tutsi au Rwanda, survenu il y a près de 30 ans. Cette action en justice, une première devant la juridiction administrative, visait à faire condamner l’État français pour sa complicité présumée dans ce drame qui a fait plus de 800 000 morts selon l’ONU.
Une requête jugée irrecevable par le tribunal
Pour les juges administratifs, les faits reprochés à la France, à savoir son soutien présumé au régime génocidaire hutu entre 1990 et 1994, relèvent des “actes de gouvernement”. Ces actes, liés notamment à la diplomatie et à la sûreté de l’État, bénéficient d’une totale immunité juridictionnelle. Le tribunal s’est donc déclaré incompétent pour juger sur le fond ce dossier ultrasensible.
L’État français pouvait éviter ce génocide : non seulement il n’en a rien fait, mais son soutien politique, diplomatique, militaire aux extrémistes hutu a été continu avant, pendant et après le génocide qu’ils ont commis.
Serge Lewisch, avocat des requérants
Les parties demanderesses, une vingtaine de victimes et témoins ainsi que deux associations, réclamaient 700 millions d’euros de réparation. Elles accusaient notamment Paris de ne pas avoir dénoncé le traité d’assistance militaire signé en 1975 avec le gouvernement rwandais, y compris lorsque celui-ci a basculé dans la folie génocidaire.
Des hauts responsables français mis en cause
Parmi les personnalités visées par la requête figuraient notamment :
- Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée en 1994
- L’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées à l’époque, accusé d’avoir “outrepassé ses pouvoirs”
Était également mise en cause l’opération Turquoise, une intervention militaire française controversée menée sous mandat de l’ONU à la fin du génocide. En octobre 2023, cette opération avait fait l’objet d’un non-lieu général de la part de la justice pénale, une décision contestée par les parties civiles qui ont fait appel.
Le rapport Duclert, une base contestée
Les requérants s’appuyaient notamment sur les conclusions accablantes du rapport Duclert, rédigé par une commission d’historiens et remis en 2021. Basé sur l’étude des archives françaises, ce rapport pointait les “responsabilités lourdes et accablantes” de la France dans la tragédie rwandaise, tout en écartant la qualification de complicité de génocide.
Cette décision du tribunal administratif ne met pas un terme définitif aux procédures judiciaires autour du rôle de la France au Rwanda. Mais elle constitue un coup dur pour les victimes et leurs soutiens, qui espéraient faire reconnaître la responsabilité de l’État dans ce drame qui reste une plaie ouverte, près de trois décennies après les faits.