Imagine un pays où le silence règne, où l’information est verrouillée par un régime totalitaire. C’est la réalité de l’Érythrée, classée dernière au monde pour la liberté de la presse par Reporters sans frontières. Mais au cœur de Paris, une petite équipe de journalistes exilés résiste et fait entendre une voix discordante : celle de Radio Erena, unique média indépendant accessible aux Érythréens.
Radio Erena, 15 ans de lutte pour la liberté d’expression
Depuis sa création en 2009 avec le soutien de RSF, Radio Erena (“Radio notre Érythrée” en langue locale) informe chaque jour ses auditeurs sur la vie réelle dans ce pays, loin de la propagande d’État. Politique, droits humains, sécurité… Autant de sujets sensibles évoqués grâce à un réseau de correspondants basés hors d’Érythrée.
D’après une source proche du dossier, l’audience de Radio Erena atteindrait plus d’un demi-million de personnes chaque semaine, malgré la difficulté d’accéder au pays. Un chiffre considérable qui témoigne de l’importance de ce média pour une population privée d’informations fiables.
Un combat permanent contre la censure
Mais informer en toute indépendance est un combat de tous les instants pour Radio Erena. Cyberattaques, menaces, tentatives de censure… Le régime érythréen ne recule devant rien pour faire taire cette voix dissidente, allant jusqu’à obtenir sa suspension temporaire en 2012.
Nous n’avons pas pu diffuser pendant près de huit mois.
Amanuel Ghimaï Bhata, rédacteur en chef de Radio Erena
Cet ancien journaliste a lui-même fui l’Érythrée en 2009 après avoir été contraint de servir “la machine de propagande” du ministère de l’Information. Comme lui, l’équipe de Radio Erena est composée de journalistes érythréens réfugiés en France, déterminés à exercer leur métier librement.
Des révélations exclusives sur le conflit du Tigré
Parmi les sujets les plus sensibles couverts par Radio Erena, l’implication de l’armée érythréenne dans la guerre au Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, est au cœur de l’actualité. Alors que le gouvernement érythréen garde le silence sur la présence de ses troupes, la radio a pu documenter leur maintien sur place, où le conflit a fait des centaines de milliers de morts et déplacé plus d’un million de personnes en deux ans.
Grâce à ses sources locales, Radio Erena a ainsi pu lever le voile sur un dossier brûlant que les médias officiels passent totalement sous silence, fournissant une information capitale pour comprendre ce conflit complexe.
Un avenir incertain pour ce symbole de la liberté
Mais aujourd’hui, l’existence même de Radio Erena est menacée. Faute de financements suffisants, la radio risque de devoir interrompre ses programmes après 15 années de diffusion sans interruption. En un an, l’équipe est passée de 6 à 3 personnes et les fonds des mécènes privés et ONG ne suffisent plus à couvrir les coûts.
Sans nouveaux partenaires financiers, on aura perdu près de la moitié de notre budget pour 2025. La voix de Radio Erena pourrait s’éteindre dans quelques mois.
Maxence Peniguet, directeur des opérations de l’association supervisant Radio Erena
Une situation critique pour ce symbole de la liberté d’expression, dernier rempart contre la propagande et la désinformation en Érythrée. Car comme le souligne Marc Lavergne, spécialiste de la Corne de l’Afrique au CNRS, les médias d’État donnent “une image complètement illusoire du pays, laissant croire que tout va toujours bien”.
Alors que l’Érythrée reste plus que jamais une “prison à ciel ouvert” pour les journalistes selon RSF, la survie de Radio Erena apparaît aujourd’hui cruciale. Au-delà d’un simple média, c’est une lueur d’espoir qui vacille pour tous ceux qui croient encore en la liberté d’informer.