C’est une scène de dévastation qui s’offre aux regards hébétés des habitants d’Aïn Yaacoub, un village de l’extrême nord du Liban. Mardi, les secouristes fouillent à mains nues les décombres d’un immeuble réduit en ruines par une frappe israélienne. Cet édifice abritait deux familles, soit une trentaine de personnes, pour la plupart des déplacés qui pensaient avoir trouvé refuge loin du tumulte de la guerre.
Du petit bâtiment, il ne reste plus rien. Des vêtements aux couleurs vives parsèment les gravats, tandis que les sauveteurs retirent des restes de corps. Selon un bilan préliminaire du ministère de la Santé, au moins huit personnes ont perdu la vie dans ce bombardement, l’un des plus éloignés de la frontière israélienne depuis le début des hostilités en septembre dernier entre Israël et le Hezbollah.
Un village sous le choc
Les villageois peinent à comprendre comment la guerre a pu les rattraper dans cette région reculée. “La maison s’est complètement effondrée, il y a beaucoup de martyrs, des restes humains dispersés sur la route, un grand nombre de blessés”, témoigne Moustafa Hamza, un voisin, encore sous le choc. “Les gens sont stupéfaits, ils ont ciblé le bâtiment sans aucun préavis, sans ordre d’évacuation. C’est un massacre.”
Toute la nuit, les secouristes ont travaillé sans relâche à la lueur des phares des voitures et de leurs téléphones portables, dans cette zone reculée privée d’électricité. Parmi les victimes figurent des Libanais, mais aussi des réfugiés syriens installés là depuis une décennie, fuyant la guerre dans leur propre pays.
Une région déshéritée devenue refuge précaire
Aïn Yaacoub se trouve dans la région pauvre du Akkar, à environ 150 km de la frontière avec Israël. Ce village proche de la Syrie accueille de nombreux réfugiés ayant fui le conflit chez eux. Jusqu’à présent, le nord du Liban, majoritairement peuplé de chrétiens et de musulmans sunnites, était relativement épargné par les frappes israéliennes qui visent principalement les bastions du Hezbollah dans l’est et le sud du pays.
Mais depuis quelques semaines, même ces havres précaires ne sont plus à l’abri. Dimanche dernier, 23 personnes dont 7 enfants ont été tuées dans un village chiite de la montagne chrétienne au nord de Beyrouth. Là encore, les victimes étaient des déplacés fuyant les bombardements dans d’autres régions. Et le 14 octobre, un village chrétien du nord, Ayto, a été frappé, faisant 23 morts parmi des familles du sud réfugiées là.
Israël affirme cibler le Hezbollah
Selon un responsable de la sécurité cité par l’AFP, la cible de la frappe à Aïn Yaacoub était un membre du Hezbollah, sans pouvoir préciser son sort. L’armée israélienne a pour sa part indiqué avoir utilisé “un missile spécifique” pour éviter les dommages collatéraux, affirmant viser “un terroriste du Hezbollah”.
Mais pour les villageois plongés dans le deuil et la détresse, ces justifications sonnent creux face à l’horreur vécue. Depuis le début du conflit en octobre 2023, quand le Hezbollah a ouvert un front au sud pour soutenir le Hamas palestinien à Gaza, plus de 3 240 personnes ont été tuées au Liban selon les autorités. La grande majorité sont des civils, victimes des bombardements massifs et de l’offensive terrestre lancée par Israël en septembre.
Une catastrophe humanitaire
Cette guerre a provoqué un immense exode dans ce petit pays. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations, au moins 1,3 million de personnes ont été déplacées, dont près de 900 000 à l’intérieur du Liban. Mais comme le montre le drame d’Aïn Yaacoub, même les régions les plus reculées ne sont plus des refuges sûrs.
Face à cette tragédie, les secours et les ONG sont débordés. Les blessés affluent dans des hôpitaux déjà saturés, tandis que des milliers de familles se retrouvent sans abri, confrontées à une précarité extrême. Le Liban, déjà fragilisé par une crise économique et politique, s’enfonce chaque jour davantage dans une catastrophe humanitaire dont l’issue est incertaine.
Pour les habitants d’Aïn Yaacoub, comme pour tant d’autres victimes innocentes de cette guerre, le chemin de la reconstruction et de la guérison s’annonce long et douloureux. Dans ce conflit qui n’épargne personne, c’est tout un peuple qui se retrouve pris en étau, avec le sentiment d’être abandonné par la communauté internationale.