Imaginez un instant : le parti qui a mis fin à l’apartheid, porté au pouvoir Nelson Mandela et gouverné sans interruption pendant trois décennies est sur le point de s’effondrer. C’est le scénario qui se profile aujourd’hui en Afrique du Sud, où les électeurs se rendent aux urnes pour des élections qui pourraient bien sonner le glas de l’hégémonie de l’ANC (Congrès National Africain). Un séisme politique aux répercussions majeures pour l’avenir de la nation arc-en-ciel.
L’ANC vacille sur ses bases
Porté par la figure emblématique de Nelson Mandela, l’ANC a incarné la libération de l’oppression raciale et suscité une immense ferveur populaire après son accession au pouvoir en 1994. Mais 30 ans plus tard, le parti est rattrapé par ses échecs et les aspirations déçues d’une large frange de la population.
Chômage endémique, creusement des inégalités, corruption rampante, crise énergétique… Les maux qui rongent l’Afrique du Sud sont légion et beaucoup pointent du doigt la responsabilité des gouvernements ANC successifs. Le mécontentement gronde, en particulier chez les jeunes qui se sentent abandonnés.
Pour la dernière décennie, les choses stagnent et la frustration envers le gouvernement ne cesse de croître.
– Christopher Vandome, chercheur au Chatham House
Une jeunesse en quête de changement
La fracture générationnelle est criante. Si les seniors restent souvent attachés à l’ANC par nostalgie et loyauté envers Mandela, les moins de 40 ans, qui représentent 42% de l’électorat, sont bien plus enclins à lui tourner le dos. Frappés de plein fouet par un taux de chômage astronomique de 32%, ils réclament du changement.
Beaucoup considèrent que l’ANC a failli à sa mission d’émancipation économique de la population noire. Les inégalités raciales restent criantes, avec une concentration des richesses toujours aux mains de la minorité blanche. Un héritage de l’apartheid que l’ANC n’a pas su gommer.
L’opposition en embuscade
Face à la désillusion croissante, les partis d’opposition fourbissent leurs armes, bien décidés à faire vaciller le géant ANC. Avec 51 formations en lice, du jamais vu, ces élections s’annoncent plus disputées que jamais.
- L’Alliance Démocratique (DA), principal rival, mise sur un programme anti-corruption et de redressement économique pour convaincre au-delà de son socle électoral traditionnellement blanc.
- Les Combattants pour la Liberté Économique (EFF), parti radical de gauche, séduisent une partie de la jeunesse avec des promesses de transformations sociales d’ampleur.
D’autres formations émergentes surfent sur des thématiques identitaires ou régionales pour grappiller des voix à l’ANC. Un paysage politique morcelé qui pourrait conduire à une situation inédite.
Vers une ère de coalitions ?
Car le véritable enjeu du scrutin est de savoir si l’ANC parviendra à conserver la majorité absolue des sièges au parlement. Si tel n’est pas le cas, il sera contraint à former une coalition de gouvernement, une première qui compliquerait singulièrement la donne politique.
Beaucoup dans l’opposition voient là l’opportunité d’ouvrir la voie à une politique plus pluraliste pour la première fois depuis 30 ans.
– Christopher Vandome
Un tel séisme serait lourd de conséquences pour l’Afrique du Sud et son avenir démocratique. La fin de l’ère de domination sans partage de l’ANC marquerait un tournant historique, ouvrant potentiellement la voie à une phase de renouveau politique. Mais également à une période d’instabilité avec le risque de blocages et de marchandages politiques.
Une chose est sûre, ce scrutin s’annonce crucial, peut-être le plus important depuis l’avènement de la démocratie en 1994. L’Afrique du Sud retient son souffle, suspendue au verdict des urnes qui façonnera son avenir. Le géant ANC vacillera-t-il ? Réponse dans quelques jours.