Dans un geste diplomatique fort, l’Irlande a annoncé qu’elle se joindrait “avant la fin de l’année” à la procédure intentée devant la Cour internationale de justice (CIJ) par l’Afrique du Sud contre Israël. Pretoria accuse l’État hébreu de commettre un “génocide” dans la bande de Gaza, territoire palestinien sous blocus israélien depuis plus de 15 ans.
Cette décision, communiquée par le ministre irlandais des Affaires étrangères Micheal Martin lors d’un débat au Parlement, intervient quelques mois après la reconnaissance par Dublin de l’État de Palestine. L’Irlande avait alors approuvé la nomination d’une ambassadrice palestinienne sur son sol, une première.
Un soutien grandissant à la démarche sud-africaine
En transmettant une “déclaration d’intervention” à la CIJ, synonyme d’un ralliement dans le jargon juridique, l’Irlande s’inscrit dans les pas de plusieurs pays ayant déjà rejoint la procédure initiée par l’Afrique du Sud en décembre 2023. Parmi eux figurent la Bolivie, la Colombie, la Libye, l’Espagne et le Mexique.
Pretoria a d’ailleurs indiqué fin octobre avoir déposé son dossier de “preuves” auprès de la haute juridiction internationale, basée à La Haye. Une étape cruciale dans cette affaire hors normes qui vise à faire condamner Israël pour ses exactions présumées à Gaza.
Israël dénonce une “tentative ignoble”
Sans surprise, les autorités israéliennes ont vivement critiqué cette procédure, y voyant une “tentative ignoble” de nier à l’État hébreu “le droit fondamental de se défendre”. Une ligne de défense classique pour Israël, qui présente régulièrement ses offensives à Gaza comme des ripostes aux tirs de roquettes du Hamas.
Mais pour le ministre irlandais Micheal Martin, il est essentiel de “défendre et promouvoir une interprétation stricte de la convention sur le génocide, pour assurer le plus haut niveau de protection possible pour les civils” pris dans des conflits armés. Une position de principe que Dublin entend donc défendre devant la CIJ.
L’ombre des victimes civiles à Gaza
Car les chiffres ont de quoi interpeller. Selon le ministère de la Santé de l’enclave palestinienne, contrôlée par le Hamas, l’offensive israélienne déclenchée en octobre 2023 a fait plus de 43.300 morts, en grande majorité des civils. Un bilan effroyable, fruit de bombardements massifs et disproportionnés selon de nombreux observateurs.
À l’inverse, les tirs de roquettes du Hamas auraient causé la mort de 1.205 personnes en Israël sur la même période, principalement des civils là aussi, d’après un décompte de l’AFP basé sur des données officielles israéliennes. Un lourd tribut, mais sans commune mesure avec les pertes gazaouies.
La CIJ, une influence limitée mais réelle
Certes, même si elle venait à condamner Israël pour génocide, la Cour internationale de justice ne disposerait d’aucun moyen concret pour faire appliquer sa décision. Pour autant, un tel arrêt aurait une portée symbolique et politique considérable.
D’autant que la CIJ a déjà rendu cette année, dans une affaire distincte, un avis consultatif retentissant jugeant “illégale” l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Sommant Israël d’y mettre fin “sans délai”, elle a aussi exigé qu’il garantisse un “accès sans entraves” aux enquêteurs de l’ONU chargés d’examiner les accusations de génocide.
L’Irlande, une voix qui porte sur la scène internationale
Dans ce contexte, le ralliement de l’Irlande à la procédure sud-africaine prend une dimension toute particulière. Membre de l’Union européenne et du Conseil de sécurité de l’ONU, Dublin jouit en effet d’une réelle influence sur la scène internationale.
Son engagement aux côtés de Pretoria pourrait donc inciter d’autres pays à franchir le pas, isolant un peu plus Israël sur la scène diplomatique. Un scénario que redoute visiblement l’État hébreu, déjà confronté à une pression internationale croissante sur la question palestinienne.
La Palestine, une cause irlandaise de longue date
Il faut dire que la défense de la cause palestinienne n’est pas nouvelle pour l’Irlande. Dublin a été l’un des premiers pays européens à reconnaître, dès 1980, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme “seul représentant légitime du peuple palestinien”.
Plus récemment, en mai 2023, le gouvernement irlandais a donc franchi une nouvelle étape en reconnaissant officiellement l’État de Palestine. Un acte fort, même s’il est pour l’instant surtout symbolique en l’absence d’un véritable État palestinien sur le terrain.
L’écho du conflit nord-irlandais
Pour comprendre cette empathie irlandaise envers les Palestiniens, il faut sans doute remonter à l’histoire tourmentée de l’île d’émeraude. Marquée par des siècles d’oppression britannique, puis par le sanglant conflit nord-irlandais, l’Irlande voit dans la lutte palestinienne un écho à sa propre quête d’émancipation et de justice.
Les Irlandais se reconnaissent dans le combat des Palestiniens contre l’occupation, car nous avons vécu une expérience similaire.
Gerry Adams, ancien leader du Sinn Féin, branche politique de l’IRA
Une solidarité qui s’exprime jusque dans les rues de Belfast ou de Derry, où flottent souvent des drapeaux palestiniens. Et qui pousse aujourd’hui l’Irlande à vouloir porter la voix de la Palestine devant la plus haute cour de justice internationale. Une démarche lourde de sens, à l’heure où le conflit israélo-palestinien semble plus enlisé que jamais.