Une affaire de bavure policière secoue la banlieue parisienne. Jeudi dernier, le tribunal correctionnel de Bobigny a condamné deux agents de la Brigade Anti-Criminalité (BAC) de Stains à 4 ans de prison avec sursis pour avoir grièvement blessé un automobiliste et sa passagère après un refus d’obtempérer en août 2021. Un jugement ferme qui leur interdit également d’exercer dans la police nationale et de porter une arme pendant 5 ans, mais dont ils ont immédiatement fait appel.
Des tirs litigieux en pleine nuit
Âgés de 30 et 33 ans, les deux policiers opéraient en civil et à bord d’un véhicule banalisé lorsqu’ils ont procédé à ce contrôle nocturne qui a dégénéré. Après un premier échange tendu avec le conducteur alcoolisé, les fonctionnaires ont tenté de s’introduire dans l’habitacle. Le conducteur a alors enclenché la marche arrière.
C’est à ce moment que les deux agents ont fait feu à huit reprises en seulement 6 secondes, touchant l’automobiliste de 5 balles à l’abdomen, aux bras, à l’aine, à l’artère fémorale et au thorax. Sa passagère a elle été transpercée par un projectile. Les victimes ont subi de lourdes séquelles, avec 127 et 100 jours d’ITT.
Huit balles en six secondes
Capturée par une vidéo amateur relayée sur les réseaux sociaux, la scène est d’une rare violence. On y voit distinctement les deux brigadiers faire usage de leur arme à de multiples reprises, visant directement le conducteur, alors qu’il était au volant. Une réaction jugée totalement disproportionnée par le tribunal :
Il n’y a pas de légitime défense lorsque vous avez fait usage de vos armes. Il y a une disproportion entre les tirs qui ont grièvement blessé les victimes et le comportement du conducteur.
La présidente de la 14e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny
Le code de sécurité intérieure en question
Pour justifier leur geste, les policiers ont martelé durant le procès avoir considéré que leur vie était en danger. Mais pour les juges, ils ne pouvaient se prévaloir de l’article 435-1 du code de sécurité intérieure qui régit l’usage des armes par les forces de l’ordre. En effet, n’étant pas en uniforme et ne portant ni insignes ni brassards apparents, les conditions n’étaient pas réunies pour faire feu.
Cet argument de la légitime défense, régulièrement invoqué par les policiers mis en cause dans des affaires de violences, est de plus en plus remis en question. De nombreuses associations et avocats dénoncent une “présomption de légitime défense” qui couvrirait les bavures.
Des victimes lourdement touchées
Quant aux victimes, elles garderont des séquelles à vie de cette nuit d’août 2021. Nordine, le conducteur, a versé quelques larmes à l’énoncé du délibéré. Touché par 5 balles, il est désormais handicapé et a perdu 10 centimètres à l’un de ses bras. Des éclats de balle subsistent dans son corps. Merryl, la passagère, a été traversée par une balle et a subi l’ablation de la rate.
Leur avocat a salué une “décision courageuse” du tribunal, dans un contexte de “présomption de culpabilité” des personnes visées par les contrôles de police. Il a toutefois regretté une “occasion manquée d’ouvrir un vrai débat sur l’encadrement de l’usage des armes” par les forces de l’ordre.
Une affaire symptomatique des tensions
Ce dossier illustre les relations souvent tendues entre police et population dans certains quartiers populaires. Il intervient alors que le gouvernement a annoncé le déploiement d’une “police de proximité” d’ici 2030 avec l’objectif de “changer la nature des interventions”. Pas sûr que cela suffise à apaiser les esprits, sans une réforme en profondeur des pratiques policières.
Car au-delà des condamnations individuelles, c’est tout un système qui est pointé du doigt. Formation insuffisante, stress, culture de l’affrontement…Les raisons qui poussent certains agents à dégainer trop rapidement sont multiples. Mais elles ont des conséquences dramatiques, brisant des vies et creusant le fossé entre police et citoyens.
Cette affaire en est une triste illustration. Si elle aboutit à quelques sanctions, elle ne réglera pas le problème de fond. Il est urgent de repenser en profondeur le rôle et les méthodes de la police, pour en faire un outil au service de la population et non une source de défiance et de violence. Un vaste chantier qui nécessitera du courage politique et une vraie concertation avec les premiers concernés.