Un pavé dans la mare. C’est ainsi qu’on pourrait qualifier le dernier rapport de l’ONG Reclaim Finance qui met en lumière le rôle troubles des grandes banques européennes dans le financement des énergies fossiles. Selon cette analyse détaillée, ces établissements bancaires seraient impliqués dans près d’un millier de transactions en faveur des géants pétroliers et gaziers depuis 2021, compromettant sérieusement les efforts de transition énergétique du continent.
Des flux financiers à contre-courant des objectifs climatiques
L’ONG a passé au peigne fin les activités de financement de 20 grandes banques européennes au cours des trois dernières années. Le constat est sans appel : 985 transactions ont été identifiées en faveur d’entreprises en première ligne de l’expansion pétro-gazière mondiale, telles que TotalÉnergies, Shell ou BP. Rien que sur l’année en cours, ce sont déjà 166 opérations de ce type qui ont été comptabilisées.
Parmi les mauvais élèves épinglés par le rapport figurent notamment les groupes bancaires français Société Générale et BPCE (Banques Populaires et Caisses d’Epargne). Ceux-ci se distinguent par leur participation active aux émissions obligataires des majors du pétrole et du gaz, contribuant ainsi à entretenir notre dépendance aux énergies fossiles.
Notre analyse révèle que si les banques affirment souvent soutenir les grandes entreprises pétro-gazières pour les accompagner dans leur transition, leurs financements vont majoritairement aux activités fossiles de ces entreprises, et non à leurs activités non fossiles, comme les énergies renouvelables.
– Reclaim Finance
Entre promesses de transition et realpolitik financière
Face à ces accusations, les banques mises en cause tentent tant bien que mal de justifier leurs choix d’investissement. Société Générale assure avoir “réduit de plus de 50% son exposition au secteur de la production de pétrole et de gaz” par rapport à fin 2019, en ligne avec sa stratégie de décarbonation. Le groupe BPCE, de son côté, invoque une “phase de transition” et “le rôle important des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial, avec une demande croissante“.
Mais pour les ONG, ces arguments ne tiennent pas la route face à l’urgence climatique. Dans des courriers adressés aux dirigeants des banques concernées, Reclaim Finance et 14 autres organisations appellent à prendre “les mesures qui s’imposent d’urgence pour empêcher l’expansion des énergies fossiles“. Une revendication forte qui sonne comme un ultimatum pour le secteur bancaire.
GNL : le grand écart des politiques bancaires
L’analyse des ONG pointe également du doigt les incohérences criantes des banques européennes en matière de gaz naturel liquéfié (GNL). Alors que certains établissements prétendent soutenir une transition bas-carbone, ils n’hésitent pas dans le même temps à financer des terminaux et infrastructures dédiées à cette énergie fossile. Un grand écart difficilement compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.
Les politiques des banques européennes sur les terminaux GNL sont encore plus insuffisantes que sur le reste du secteur oil & gas.
– Reclaim Finance
Vers une finance plus verte et responsable ?
Ce rapport choc intervient à un moment charnière, alors que l’Union Européenne s’est fixé des objectifs ambitieux de neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour y parvenir, une profonde transformation des flux financiers s’impose, avec un désinvestissement massif des énergies fossiles au profit des renouvelables. Un virage que peinent encore à négocier de nombreuses banques, tiraillées entre les profits à court terme et leur responsabilité dans la crise climatique.
Face à la pression croissante de la société civile et des régulateurs, le secteur bancaire européen sera-t-il capable d’opérer sa mue verte ? C’est tout l’enjeu des prochaines années, alors que le temps presse pour limiter le réchauffement planétaire. Une chose est sûre : les ONG environnementales, telles que Reclaim Finance, ne relâcheront pas leur vigilance et continueront de jouer leur rôle de lanceur d’alerte. Aux banques de prouver maintenant qu’elles peuvent être des acteurs à part entière de la transition énergétique, et non des obstacles.
Dans ce bras de fer entre la finance et le climat, c’est notre avenir à tous qui est en jeu. Les citoyens, épargnants et consommateurs ont aussi un rôle clé à jouer, en orientant leur argent vers les banques les plus vertueuses et en exigeant davantage de transparence et d’engagement. Car ne nous y trompons pas : chaque euro investi a un impact, positif ou négatif, sur la trajectoire climatique. À nous tous de choisir quel monde nous voulons financer.