Au Bangladesh, le douloureux héritage des années au pouvoir de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina continue de se dévoiler. Selon les récentes révélations d’une commission d’enquête officielle, environ 200 personnes enlevées entre 2009 et 2024, sous le règne de fer de Mme Hasina, demeurent aujourd’hui encore portées disparues. Un constat glaçant qui met en lumière l’ampleur des violations des droits humains perpétrées par le régime déchu.
Nommée par le gouvernement intérimaire actuellement en place et dirigé par le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, cette commission de cinq membres s’est vue confier la délicate mission d’enquêter sur le sort des personnes enlevées par les forces de l’ordre durant les 15 années de pouvoir de Sheikh Hasina. « Nous n’avons aucune information sur au moins 200 personnes. Nous essayons de les localiser », a déclaré devant la presse Noor Khan, l’un des membres de la commission, tout en précisant que cinq personnes avaient pu être libérées de lieux de détention tenus secrets depuis la chute de l’ancien régime le 5 août dernier.
Un régime de fer marqué par les exactions
Tout au long de son règne, Sheikh Hasina et son gouvernement ont été accusés par de nombreuses ONG de graves exactions et violations des droits humains. La justice bangladaise a d’ailleurs délivré un mandat d’arrêt contre l’ex-cheffe du gouvernement, contrainte de s’exiler en Inde après des semaines de manifestations ayant conduit à sa chute.
Parmi les révélations les plus choquantes de la commission d’enquête figure l’existence d’au moins huit centres de détention secrets dans la capitale Dacca et sa périphérie, dont certains étaient équipés de minuscules cellules de 0,9 mètre sur 1,2 mètre. Des geôles insalubres et exiguës destinées à briser physiquement et psychologiquement les détenus.
Le Bataillon d’action rapide pointé du doigt
Selon la commission, la majeure partie des disparitions serait à imputer au tristement célèbre Bataillon d’action rapide (RAB), une unité d’élite de la police déjà sanctionnée par les États-Unis en 2021 pour son implication dans de nombreuses exactions. Sept de ses chefs avaient alors fait l’objet de mesures punitives de la part de Washington.
Mais le RAB n’est pas le seul en cause. Depuis la chute de Sheikh Hasina en août, certaines unités des forces de l’ordre, dont les noms n’ont pas été dévoilés, auraient tenté de masquer les preuves de l’existence de ces prisons officieuses selon un membre de la commission. Une tentative désespérée d’échapper aux poursuites et de préserver le voile opaque de l’impunité qui a longtemps protégé les forces de sécurité.
Ils (les forces de l’ordre) ont été utilisées pour leurs propres besoins et intérêts politiques.
Islam Chowdhury, président de la commission d’enquête
Muhammad Yunus face à l’immense défi de la reconstruction
Pour Muhammad Yunus et son gouvernement intérimaire, l’heure est à la reconstruction d’un pays profondément meurtri par les années Hasina. Le prix Nobel de la paix a ainsi déploré avoir hérité d’une administration « complètement détruite » nécessitant une refonte en profondeur afin d’empêcher tout retour à l’autocratie.
Mais au-delà des réformes institutionnelles, c’est aussi à la douloureuse quête de vérité et de justice que le Bangladesh doit désormais se livrer. Pour les familles des disparus comme pour l’ensemble d’une société bangladaise en quête de repères, il est urgent de faire la lumière sur les crimes du passé afin de pouvoir se tourner vers l’avenir. Un défi immense, à la hauteur des blessures laissées par 15 ans de dérive autocratique.
Les zones d’ombre persistantes des disparitions forcées
Malgré les efforts de la commission d’enquête, de nombreuses questions restent en suspens. Quel a été le sort exact des 200 personnes toujours portées disparues ? Combien de centres de détention secrets ont réellement existé ? Quelles autres exactions les forces de l’ordre ont-elles tenté de dissimuler ? Autant d’interrogations qui nécessiteront un travail de longue haleine pour être élucidées.
Il faudra aussi s’assurer que les responsables de ces graves violations des droits humains, à tous les niveaux de la chaîne de commandement, soient traduits en justice. Ce n’est qu’à ce prix que le Bangladesh pourra définitivement tourner la page de ces années noires et envisager de manière sereine son avenir démocratique.
Car pour l’heure, malgré le départ de Sheikh Hasina, les stigmates de son régime restent profondément ancrés. La peur et la défiance à l’égard des institutions, la douleur lancinante des familles de disparus, l’exigence d’un État de droit respectueux des libertés fondamentales : autant de défis à relever pour permettre au Bangladesh et à son peuple de se reconstruire.
Je n’ose même pas imaginer ce que mon mari a pu subir durant toutes ces années. J’ai besoin de savoir la vérité, même si elle est insupportable.
Épouse d’un disparu, sous couvert d’anonymat
Des mots lourds de sens qui rappellent l’urgence de faire la lumière sur l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire récente du Bangladesh. Un devoir de mémoire et de justice qui conditionnera la capacité du pays à se réinventer et à bâtir une société apaisée. Un chemin semé d’embûches, mais une lutte nécessaire et incontournable pour honorer la souffrance des victimes et permettre à tout un peuple de se réconcilier avec son histoire.