Un sujet brûlant vient de resurgir avec fracas sur le devant de la scène en Israël : la conscription des juifs ultra-orthodoxes. Selon une source proche de l’armée, le ministre de la Défense Yoav Gallant a donné son feu vert pour émettre pas moins de 7000 nouveaux ordres d’incorporation visant cette communauté très particulière. Une décision lourde de sens et de conséquences dans un pays en guerre depuis plus d’un an.
Ces milliers d’appels sous les drapeaux, qui font suite aux 3000 convocations déjà envoyées en juillet dernier, ont un objectif clair : renforcer des effectifs militaires mis à rude épreuve par les combats qui font rage sur plusieurs fronts. Car Israël n’affronte pas seulement le Hamas dans la bande de Gaza, mais aussi le Hezbollah au Liban. Un double conflit qui aurait déjà coûté la vie à 780 soldats israéliens et en aurait blessé plus de 4500. Sans compter l’impact sur les quelque 300 000 réservistes rappelés depuis l’attaque du Hamas en octobre 2023, qui a fait plus de 1200 morts côté israélien.
Un statut très particulier remis en question
Mais pourquoi cibler spécifiquement les juifs ultra-orthodoxes, aussi appelés “haredim” (“craignant Dieu” en hébreu) ? Parce qu’ils bénéficient depuis la création d’Israël en 1948 d’une exemption de service militaire s’ils se consacrent à plein temps à l’étude de la Torah et du Talmud. Un privilège dont jouissent actuellement environ 66 000 jeunes hommes en âge de servir, sur une communauté qui représente 14% de la population juive israélienne.
Pour les haredim, qui suivent une interprétation très stricte de la loi juive et vivent en vase clos, l’étude religieuse protège autant le pays que l’armée. Mais ce statut très particulier est de plus en plus contesté par le reste de la société israélienne, qui y voit une injustice et un fardeau. Surtout en ces temps de guerre où chaque citoyen est appelé à contribuer à l’effort militaire.
La Cour suprême s’en mêle, le gouvernement sous pression
C’est dans ce contexte tendu que la plus haute instance judiciaire du pays a tranché en juin dernier. Estimant que le gouvernement ne pouvait pas exempter les étudiants en écoles talmudiques sans un “cadre légal adéquat”, la Cour suprême a ordonné leur incorporation. Une décision qui met la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu, dont les partis ultra-orthodoxes sont des piliers, sous forte pression.
La question est si sensible qu’elle a déjà provoqué une grave crise politique en 2018, précipitant le pays vers pas moins de cinq élections anticipées en quatre ans. Preuve que la place de la religion, et en particulier celle des haredim, est une ligne de faille majeure de la société israélienne. Une fracture qui menace aujourd’hui la cohésion du pays en pleine guerre.
Colère et incompréhension chez les ultra-orthodoxes
Du côté de la communauté ultra-orthodoxe, c’est l’incompréhension et la colère qui dominent. Beaucoup dénoncent une “persécution” et une atteinte à leur mode de vie. Certains leaders religieux appellent même à la désobéissance civile, menaçant de ne pas répondre aux convocations de l’armée. Un bras de fer qui s’annonce difficile pour le gouvernement, pris entre l’injonction de la Cour suprême et la pression de ses alliés ultra-orthodoxes.
Selon des sources proches des cercles haredi, des manifestations massives pourraient être organisées dans les prochains jours pour protester contre ces incorporations forcées. De quoi raviver les tensions communautaires dans un Israël déjà mis à rude épreuve par la guerre. Le gouvernement parviendra-t-il à faire accepter cette décision historique sans provoquer une crise majeure ? L’avenir du pays pourrait en dépendre.
Vers un service militaire aménagé ?
Pour tenter de désamorcer cette bombe à retardement, l’armée plancherait sur des aménagements du service militaire pour les haredim. Selon nos informations, il serait question de leur proposer des affectations qui tiennent compte de leurs spécificités religieuses, comme la possibilité de servir dans des unités non-mixtes ou d’avoir des repas casher. L’idée serait aussi de leur offrir des formations professionnelles qui puissent leur être utiles dans le civil.
Mais ces compromis suffiront-ils à convaincre une communauté qui rejette en bloc le service militaire ? Rien n’est moins sûr. D’autant que beaucoup d’ultra-orthodoxes craignent qu’une fois incorporés, ils ne puissent plus retourner à leurs études talmudiques. Une angoisse d’autant plus forte que l’armée est vue par eux comme un lieu de perdition qui menace leur identité.
Ils veulent nous arracher à la Torah et nous transformer en Israéliens comme les autres. C’est une déclaration de guerre contre notre mode de vie.
– Un étudiant d’une yeshiva de Jérusalem
Face à cette levée de boucliers, le gouvernement tentera-t-il de gagner du temps en faisant adopter une nouvelle loi pour contourner la décision de la Cour suprême ? C’est une possibilité évoquée par certains commentateurs. Mais une telle manœuvre risquerait de provoquer une crise institutionnelle majeure, beaucoup voyant dans l’arrêt de la Cour suprême un test de l’État de droit.
Un débat de société crucial pour l’avenir d’Israël
Au-delà de ses implications immédiates, la conscription des ultra-orthodoxes pose des questions fondamentales pour l’avenir d’Israël. Comment concilier l’étude religieuse et les impératifs de sécurité dans un pays en guerre permanente ? Quel équilibre trouver entre les différentes composantes d’une société de plus en plus polarisée ? Et surtout, quelle place accorder à la religion dans un État qui se veut à la fois juif et démocratique ?
Autant de défis existentiels auxquels Israël devra répondre pour assurer sa cohésion et sa pérennité. Car au-delà des 7000 convocations envoyées aux ultra-orthodoxes, c’est bien le visage du pays qui se joue aujourd’hui. Un pays déchiré entre la Torah et l’épée, entre la tradition et la modernité. Un pays qui doit plus que jamais faire corps pour affronter les menaces qui pèsent sur lui.