Le mouvement des droits de l’Homme en Argentine est en deuil. Mirta Acuña de Baravalle, une des fondatrices de l’emblématique organisation des Mères et Grands-mères de la Place de Mai, s’est éteinte à l’âge de 99 ans. Depuis plus de quatre décennies, ces femmes se battent sans relâche pour retrouver les enfants volés et faire la lumière sur le sort des 30 000 disparus de la dictature militaire qui a ensanglanté le pays entre 1976 et 1983.
Un drame personnel à l’origine d’un combat collectif
Pour Mirta Baravalle, cette quête de vérité et de justice était avant tout un combat intime et viscéral. Le 27 août 1976, sa fille Ana Maria, alors enceinte de cinq mois, et son gendre Julio Cesar Gamizzi, ont été enlevés par les militaires. Elle ne les a plus jamais revus. Quelques mois plus tard, un homme est venu lui annoncer que le bébé, qui devait s’appeler Camila ou Ernesto, était né et en bonne santé. Puis plus rien. Ce messager a lui aussi “disparu” peu après, emportant avec lui le secret de la localisation de l’enfant.
Comme des centaines d’autres mères et grands-mères argentines, Mirta Baravalle a alors entamé un long et douloureux périple pour tenter de retrouver la trace de ses proches disparus. Dès 1977, avec une poignée d’autres femmes, elle a commencé à se rassembler chaque jeudi sur la Place de Mai à Buenos Aires, face au siège de la présidence, pour réclamer la vérité. Bravant la répression et les menaces, arborant les photos de leurs enfants sur des pancartes, elles sont devenues le symbole de la résistance à la junte.
La quête sans fin des bébés volés
Au fil des ans, le mouvement s’est structuré et amplifié. En 1977, Mirta Baravalle a participé à la création de l’association des Grands-mères de la Place de Mai, spécifiquement dédiée à la recherche des enfants nés en détention et donnés illégalement à des familles proches du régime. Selon les estimations, entre 300 et 500 bébés auraient ainsi été « appropriés », dans le but d’en faire des enfants « bien-pensants ».
Depuis 45 ans, au prix d’un travail d’enquête acharné et grâce aux progrès de la génétique, les Grands-mères sont parvenues à « résoudre » 130 cas, c’est-à-dire à restituer leur véritable identité à des personnes qui ignoraient tout de leurs origines. Mais plus de 300 autres, parmi lesquels le petit-enfant de Mirta Baravalle, restent introuvables. Une tragédie que cette militante infatigable, décrite par ses proches comme une femme de principes, intègre et stratège, a portée jusqu’à son dernier souffle.
Jamais je n’ai vu quelqu’un avec des valeurs et des principes aussi hauts. Les histoires sur la façon dont elle recherchait les enfants appropriés sont impressionnantes, ses déguisements, ses stratégies pour les atteindre.
Myriam Bregman, avocate et femme politique argentine
L’hommage d’une nation
Le décès de Mirta Baravalle a suscité une vive émotion en Argentine. Sur les réseaux sociaux, les Grands-mères de la Place de Mai lui ont rendu un vibrant hommage : « Nous disons adieu à une autre camarade de lutte (…). A 99 ans, Mirta est partie sans l’étreinte de son petit-fils ou de sa petite-fille. Nous continuerons à les chercher. Pour toujours, chère Mirta ! »
De nombreuses personnalités politiques et associatives ont également salué la mémoire de cette figure de proue du combat pour les droits humains. Un combat qu’elle laisse inachevé, mais que ses compagnes sont déterminées à poursuivre, pour que triomphe, enfin, la vérité sur l’un des chapitres les plus noirs de l’histoire argentine.
Elle est partie sans retrouver ni Camila ni Ernesto, sa petite-fille ou son petit-fils. « Mon squelette est fatigué », me disait-elle récemment.
Myriam Bregman, avocate et femme politique argentine
Mirta Baravalle n’aura pas eu le temps de connaître toute la vérité et de serrer dans ses bras ceux qui lui ont été arrachés. Mais par sa lutte obstinée, sa ténacité et son courage en dépit de l’adversité, elle laisse un exemple qui forcé le respect et continuera d’inspirer des générations de défenseurs des droits humains, en Argentine et au-delà. Son combat était celui d’une mère, d’une grand-mère, mais aussi celui de tout un peuple avide de justice et de mémoire.