La condamnation d’une jeune instagrameuse à quatre ans et demi de prison en Tunisie pour avoir diffusé des contenus jugés obscènes a créé un véritable séisme dans le pays. Selon une source proche du dossier citée par une radio privée locale, trois femmes et deux hommes, tous créateurs de contenu sur les réseaux sociaux, sont actuellement en détention depuis le début de la semaine et seront jugés prochainement dans le cadre de la même affaire.
Les accusations portées contre eux sont lourdes : harcèlement, expression intentionnelle d’obscénités, poses immorales ou contraires aux valeurs sociétales, avec un impact négatif sur le comportement des jeunes. Cette vague d’arrestations fait suite à un communiqué publié dimanche par le ministère de la Justice tunisien, enjoignant les procureurs à sévir contre toute personne produisant et diffusant des contenus portant atteinte aux valeurs morales.
Le ministère cible les réseaux sociaux
Dans son communiqué, le ministère a pointé du doigt l’utilisation croissante des plateformes comme TikTok et Instagram pour propager des contenus “contraires à la morale publique”, employant un langage grossier ou mettant en scène des situations jugées incompatibles avec les bonnes mœurs et les valeurs de la société tunisienne. Cette prise de position musclée du gouvernement a suscité de vifs débats sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Un clivage dans l’opinion publique
Si certains internautes se sont félicités de cette décision, y voyant un moyen de lutter contre la prolifération de propos grossiers et d’images indécentes sur les réseaux, d’autres ont exprimé leur inquiétude face à ce qu’ils perçoivent comme une nouvelle atteinte aux libertés. Le magazine d’information en ligne Nawaat a notamment publié un article au titre évocateur : “Les bonnes mœurs, nouvel alibi à la répression”.
Des comportements banals sous d’autres cieux pourraient être considérés en Tunisie comme des actes blasphématoires envers les valeurs de la société.
Nawaat
Pour le magazine, connu pour ses positions critiques envers le pouvoir, ces arrestations s’inscrivent dans un contexte marqué par une dérive liberticide du régime. Après s’en être pris au pouvoir judiciaire, aux opposants, aux journalistes et à la société civile, ce serait désormais au tour des influenceurs d’être dans le collimateur, indépendamment de la qualité des contenus qu’ils proposent.
Un durcissement du régime dénoncé
Cette affaire intervient alors que l’opposition et la société civile n’ont de cesse depuis trois ans de dénoncer la dérive autoritaire du président Kaïs Saied, pourtant réélu en octobre dernier avec plus de 90% des voix. Un score en trompe-l’œil puisque le scrutin a été marqué par une abstention record, moins de 30% des électeurs s’étant déplacés aux urnes.
Dans ce contexte, la condamnation de cette jeune instagrameuse et les poursuites engagées contre d’autres créateurs de contenu sont perçues par beaucoup comme un nouveau tour de vis visant à museler les voix discordantes et à imposer un contrôle accru sur l’expression en ligne. Un sujet brûlant qui risque de continuer à enflammer la société tunisienne dans les semaines et mois à venir.