Le refus d’afficher la publicité pour le livre de Jordan Bardella dans les gares SNCF fait couler beaucoup d’encre. Alors que des personnalités politiques comme Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal ont pu bénéficier de ce type de promotion par le passé, pourquoi le président du Rassemblement National se voit-il refuser ce privilège ? Plongeons dans les dessous de cette polémique qui divise.
La publicité du livre de Bardella censurée par Mediatransports
C’est le 28 octobre que le scandale éclate. La régie publicitaire de la SNCF et de la RATP, Mediatransports, annonce qu’elle ne diffusera pas la campagne négociée avec Fayard, maison d’édition de Jordan Bardella, pour son livre “Ce que je cherche” à paraître le 9 novembre. Le visuel, un portrait de l’homme politique barré du titre de l’ouvrage, est jugé contraire au principe de neutralité, notamment politique, de l’entreprise.
La promotion de l’ouvrage d’un homme politique en exercice, président d’un parti, porte atteinte à ce principe de neutralité et ne peut donc être acceptée sur nos espaces.
Mediatransports
Pour Mediatransports, le statut de député européen et président de parti de Jordan Bardella rend problématique l’affichage de publicité pour son livre, qui n’est pas un simple récit autobiographique d’après le titre. Les conditions générales de vente de la régie stipulent en effet que “tout message publicitaire présentant un caractère politique (…) est prohibé”.
Jordan Bardella crie à la censure et à la victoire des syndicats
Face à cette décision, le président du RN dénonce une censure et une victoire des syndicats de gauche de la SNCF qui s’étaient indignés de cette campagne. Ses soutiens, comme le député Éric Ciotti, l’appuient, affirmant que la SNCF n’aurait pas agi de même pour un livre de Jean-Luc Mélenchon.
Pour prouver l’existence d’un “deux poids, deux mesures”, Jordan Bardella publie sur les réseaux sociaux une liste d’ouvrages politiques ayant bénéficié d’affichage publicitaire dans les gares par le passé. Parmi eux, les livres de Ségolène Royal (“Ce que je peux enfin vous dire”, 2018) et de Nicolas Sarkozy (“Le temps des combats”, 2023). Bardella demande alors des comptes au journaliste Patrick Cohen qui affirmait qu’aucune pub pour des livres politiques d’élus en exercice n’était présente dans les gares.
La différence de traitement s’explique par le statut des auteurs
Seulement voilà, ce que le député européen omet de préciser, c’est qu’à l’époque de la parution de leurs livres respectifs, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy n’étaient plus élus. Leurs ouvrages étaient des mémoires, pas des livres programmatiques comme semble l’être celui de Bardella au vu de son titre.
Il y a une grosse nuance. Il s’agissait là d’un livre de mémoires écrit par un ancien président n’ayant plus de mandat.
Mediatransports au sujet du livre de Nicolas Sarkozy
La régie publicitaire avait d’ailleurs anticipé cet argument en expliquant dès le début de la polémique que la situation était différente pour Sarkozy et Royal du fait de leur position à ce moment-là, sans mandat électif. À l’inverse, l’ouvrage de Jordan Bardella est certes une autobiographie mais “écrite par un homme politique, président d’un parti”.
Les autres livres cités par Bardella n’ont rien à voir
Quant aux autres ouvrages mentionnés par le président du RN pour appuyer son propos, comme ceux du général Pierre de Villiers ou des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, leur cas est là encore très différent. Aucun des auteurs n’était élu ou à la tête d’un parti politique au moment de leur parution.
Pierre de Villiers, bien que personnalité publique, est un ancien militaire qui a quitté ses fonctions de chef d’état-major des armées en 2017. Davet et Lhomme sont eux des journalistes d’investigation du Monde, qui ont beaucoup écrit sur la politique mais n’en font pas.
Mediatransports assume sa position et nie toute pression
Malgré la pression médiatique et les accusations de censure politique, Mediatransports maintient sa position. L’entreprise nie fermement avoir cédé à un quelconque lobby syndical et rappelle qu’elle ne fait qu’appliquer une règle inscrite noir sur blanc dans ses conditions générales de vente.
Cette règle, valable pour tous, vise à préserver une neutralité, notamment politique, dans les espaces publicitaires des gares. Que l’auteur soit de droite, de gauche, ou d’ailleurs, un élu en exercice, qui plus est à la tête d’un mouvement, ne peut y faire la promotion de ses écrits.
Au-delà de la polémique, un débat sur la neutralité des espaces publics
Si l’affaire fait tant de bruit, c’est qu’au-delà du cas Bardella, elle interroge sur la place du politique dans les lieux publics comme les gares. Faut-il une neutralité absolue, au risque d’exclure certaines paroles ? Ou accepter les expressions partisanes, avec le danger de transformer ces espaces en arènes politiques ?
La polémique soulève aussi la question de l’égalité de traitement entre personnalités politiques. Si la règle de Mediatransports semble claire, on peut comprendre que son application puisse paraître à géométrie variable en fonction des cas. Un examen au cas par cas qui ouvre la porte aux contestations.
Enfin, certains y voient la manifestation d’un climat de défiance envers la parole politique, soupçonnée de vouloir s’immiscer partout. Pour eux, refuser une publicité dans une gare n’est pas anodin et en dit long sur la place laissée au débat dans l’espace public.
Nul doute que cette polémique ne restera pas sans suites tant elle cristallise de nombreuses tensions. Elle aura eu le mérite de lancer le débat sur des questions fondamentales pour notre démocratie, comme la neutralité politique des espaces publics et la place accordée aux expressions partisanes dans notre société. Des sujets qui continueront à faire parler dans les prochains mois.