C’est un budget sans précédent que vient de dévoiler le gouvernement travailliste britannique, quatre mois seulement après son retour au pouvoir. Entre des hausses d’impôts colossales de 48 milliards d’euros et des emprunts exceptionnels de 100 milliards sur 5 ans, les mesures présentées par la chancelière de l’Échiquier Rachel Reeves ont de quoi donner le vertige. Un choix “responsable” pour l’exécutif, mais qui soulève aussi de profondes interrogations au Royaume-Uni sur les conséquences économiques et sociales.
Un niveau de taxation historique
La première surprise de ce budget vient de l’ampleur des hausses d’impôts annoncées. Avec 40 milliards de livres, soit 48 milliards d’euros, c’est du jamais vu depuis plus de 30 ans outre-Manche. Selon les prévisions de l’organisme public budgétaire OBR, le niveau de taxation britannique devrait grimper de 36,4% à 38,3% du PIB d’ici 2027/2028, atteignant un sommet historique.
Pour justifier ce choix, les travaillistes pointent du doigt l’état dégradé des finances publiques après 14 années de gouvernements conservateurs marquées par le Brexit, la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique. Ils mettent aussi en avant la nécessité de relancer les services publics, à commencer par le système de santé NHS qui bénéficiera de 22,6 milliards supplémentaires sur 3 ans.
Qui va passer à la caisse ?
Sans surprise, ce sont d’abord les entreprises qui seront mises à contribution via une hausse des cotisations patronales, véritable mesure phare du budget qui devrait rapporter 25 milliards de livres. Mais comme le souligne l’OBR, une bonne partie de cette charge sera en réalité répercutée sur les salariés, que ce soit par des augmentations de salaire plus faibles ou des créations d’emplois freinées.
Les ménages aisés seront eux aussi ciblés, avec de nouvelles taxes sur les résidences secondaires, les écoles privées ou encore une hausse symbolique des prélèvements sur les voyages en jet privé. Au total, le gouvernement espère ainsi récupérer plus de 500 millions de livres, mais seulement à partir de 2026.
Des emprunts massifs
L’autre grande nouveauté réside dans la décision de modifier le mode de calcul de la dette publique afin de pouvoir emprunter davantage pour investir, que ce soit dans les infrastructures ou les services publics. Au total, ce sont 100 milliards de livres d’emprunts supplémentaires qui sont prévus sur les 5 prochaines années.
Un changement de philosophie majeur pour un parti travailliste qui avait bâti dans les années 1990 sa crédibilité économique sur la maîtrise des déficits. Mais pour la chancelière Rachel Reeves, il s’agit au contraire de se montrer “responsable” en préparant l’avenir du pays, quitte à creuser la dette à court terme.
Des réactions contrastées
Sans surprise, les critiques n’ont pas tardé à fuser du côté des conservateurs, à commencer par l’ancien Premier ministre Rishi Sunak qui a dénoncé ce budget comme “une folie” qui fera peser “des milliards de livres de dette en plus” sur les jeunes générations.
Plus nuancée, la principale organisation patronale CBI reconnaît qu’il s’agit d’un “budget difficile pour les entreprises” qui rendra “plus coûteuse” l’embauche, tout en concédant que la chancelière “a dû faire des choix compliqués pour assurer la stabilité de l’économie”.
À gauche en revanche, les syndicats saluent les priorités affichées de soutien aux services publics. Le budget “nous met sur la voie d’un renouveau national”, s’est ainsi félicité le secrétaire général de la confédération syndicale TUC.
L’avenir dira si le pari est gagnant
Pour l’heure, c’est surtout l’incertitude qui domine sur les conséquences réelles de ces mesures. Comme le souligne Paul Johnson de l’institut IFS, la chancelière fait le double pari risqué que les nouvelles liquidités “suffiront à redresser” les services publics et que les bénéfices tirés de ces investissements “compenseront les coûts”.
Du côté des marchés financiers, la réaction est également mitigée. Si la livre sterling n’a pas souffert, les taux d’emprunt à long terme du Royaume-Uni ont eux grimpé, signe d’une certaine défiance des investisseurs sur la capacité du gouvernement à garder le contrôle de la dette et de l’inflation. À plus long terme, les prévisions de croissance ont d’ailleurs été revues légèrement à la baisse par l’OBR au-delà de 2025.
Seule certitude, ce budget marque un véritable tournant pour le Royaume-Uni. Après des années d’austérité, puis les turbulences du Brexit et du Covid, le gouvernement semble prêt à remettre la dépense publique et l’investissement au cœur de son action. Non sans risques économiques et politiques. Le pari sera-t-il payant ? Réponse dans les années à venir.