La décision de l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Strasbourg de suspendre son partenariat avec l’université israélienne Reichman, près de Tel-Aviv, suscite une vive polémique en France. Cette suspension, motivée par les “positions bellicistes” de l’université vis-à-vis de la guerre à Gaza, a été qualifiée d'”affligeante” par le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot.
Lors d’une interview télévisée, le ministre a exprimé son profond désarroi face à cette décision, rappelant que “l’université, c’est le lieu du débat, de la tolérance, c’est le temple de l’esprit critique”. Il a souligné que ce n’est pas l’université Reichman elle-même qui est impliquée dans les bombardements au Liban ou à Gaza, et que c’est justement dans les universités israéliennes que l’on trouve “les plus fervents partisans de la paix et de la solution à deux États”.
Une décision controversée dans un contexte tendu
Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Patrick Hetzel, a également déploré cette décision “adoptée à des fins de prise de position politique par le conseil d’administration d’un établissement public et en désaccord avec la direction de l’établissement”. Il avait d’ailleurs récemment mis en garde les présidents d’université sur leur responsabilité dans le maintien de l’ordre, dans un contexte de montée d’un mouvement étudiant pro-palestinien en France.
En effet, depuis 2024, plusieurs établissements d’enseignement supérieur, et en particulier les Instituts d’Études Politiques, sont le théâtre de manifestations et parfois d’occupations de bâtiments par des étudiants pro-palestiniens. Ce fut notamment le cas à l’approche de l’anniversaire de l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, date à laquelle le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon avait appelé à “mettre des drapeaux palestiniens partout où c’est possible”.
Une motion étudiante au cœur de la polémique
C’est dans ce climat tendu qu’est intervenue la décision de l’IEP de Strasbourg, révélée par un média local après avoir été prise en juin. Cette suspension du partenariat avec l’université Reichman fait suite à une motion portée par huit des dix représentants étudiants siégeant au conseil d’administration de l’IEP, et soutenue par certains enseignants.
Tout en condamnant “sans réserve l’attaque terroriste subie par la population israélienne le 7 octobre 2023”, les auteurs de la motion ont dénoncé les “positions de l’université en question, profondément bellicistes et dénuées de toute perspective humaniste, pacifiste et critique au regard de la guerre en cours à Gaza”.
Face à cette décision, le directeur de l’IEP de Strasbourg, Jean-Philippe Heurtin, a exprimé à l’AFP sa “forte hostilité” à cette motion contestée. Une prise de position ferme qui illustre les divisions suscitées par ce dossier au sein même de l’établissement.
Un débat qui cristallise les tensions
Au-delà du cas spécifique de l’IEP de Strasbourg, cette polémique met en lumière les vives tensions qui traversent le monde universitaire français dès lors qu’il est question du conflit israélo-palestinien. Entre volonté d’engagement politique de certains étudiants et enseignants, et appels à la neutralité et à l’apaisement des débats de la part des autorités, l’équilibre semble de plus en plus difficile à trouver sur les campus.
Cette suspension de partenariat, si elle reste pour l’heure un cas isolé, n’en est pas moins révélatrice d’un climat particulièrement sensible. À l’heure où les universités sont plus que jamais des lieux de bouillonnement intellectuel et de débats sociétaux, la question de la juste place à accorder aux prises de position politiques se pose avec une acuité renouvelée.
Entre liberté d’expression, devoir de réserve et volonté de maintenir des espaces de dialogue apaisé, les établissements d’enseignement supérieur se retrouvent en première ligne face à des enjeux qui dépassent largement les seuls cercles académiques. Un défi complexe à relever dans un contexte international toujours plus tendu, où chaque prise de parole, chaque décision, peut rapidement prendre une dimension symbolique et polémique.
Reste à savoir si cet épisode marquera un tournant dans la gestion des partenariats universitaires internationaux, ou s’il ne restera qu’un épiphénomène, symptomatique de fractures profondes mais contenu dans ses implications concrètes. Une chose est sûre : la question du positionnement des universités face aux grands enjeux géopolitiques contemporains est plus que jamais à l’ordre du jour, et promet encore de nombreux débats passionnés dans les mois et années à venir.