Sur les étals vides des marchés de Cochabamba, au cœur de la Bolivie, les larmes de Damaris Masias en disent long. Cette agricultrice de 48 ans regarde impuissante ses tonnes de tomates finir à la poubelle, en compagnie d’autres montagnes de fruits et légumes avariés. Un voyage de l’enfer pour acheminer ses récoltes depuis son village d’Omereque, situé à 270km : 9 jours au lieu des 8 heures habituelles. La faute aux barrages routiers érigés depuis le 14 octobre par les partisans de l’ancien président Evo Morales, qui protestent contre l’ouverture d’une enquête visant leur leader pour viol présumé sur une mineure. Le début d’une paralysie sans précédent pour le “grenier de la Bolivie”.
Cochabamba étranglée, l’économie à genou
Principale plaque tournante du pays, Cochabamba voit transiter habituellement toute la production agricole et agroindustrielle de la riche région de Santa Cruz vers les ports d’exportation du Chili. Mais avec 24 barrages signalés, majoritairement dans ce fief de l’ancien cultivateur de coca, c’est toute la chaine d’approvisionnement qui se grippe. Les pertes pour le secteur agroalimentaire local sont déjà estimées à 20 millions de dollars.
Des prix qui flambent, des rayons qui se vident
Sur les marchés de Cochabamba, les quelques produits rescapés voient leurs prix s’envoler. Le kilo de poulet est passé de 2 à 3,4 dollars, faisant chuter les ventes en flèche. “Les clients nous réprimandent. Ils nous disent ‘c’est trop cher’. D’autres repartent sans rien acheter”, se désole Ana Luz Salazar, vendeuse de volailles de 55 ans. Dans la périphérie, les vastes poulaillers d’ordinaire grouillants de vie sont désormais vides et silencieux. Faute d’approvisionnement en maïs et soja, indispensables à l’alimentation des volailles, de nombreux éleveurs ont dû sacrifier leurs bêtes avant la fin de leur cycle.
“Il y a 15.000 pondeuses en cage que nous avons dû vendre avant la fin de leur cycle physiologique (…) pour garantir l’équilibre alimentaire des autres lots”
– Ivan Carreon, entrepreneur avicole
Une situation encore plus critique pour les élevages bovins et porcins, qui pourraient voir leurs animaux mourir de faim d’ici quelques jours seulement. Cette menace plane comme un couperet au-dessus de toute la région, dont le titre de “grenier de la Bolivie” sonne désormais creux.
L’espoir d’un pont aérien pour éviter le pire
Face à l’urgence, producteurs et distributeurs rivalisent d’ingéniosité pour contourner les barrages. Certains font la queue dès l’aube devant les bureaux des compagnies aériennes, dans l’espoir de trouver une place pour leurs marchandises périssables sur un vol. “Nous cherchons des ponts aériens pour que les produits ne s’abiment pas”, explique Christian Vrsalovic, un industriel laitier contraint de payer cinq fois plus cher ses expéditions aériennes pour honorer ses engagements.
Mais cette solution de fortune ne saurait suffire à endiguer les pertes abyssales et la menace grandissante de pénurie. Les yeux rivés sur le bras de fer entre les partisans d’Evo Morales et le gouvernement du président Luis Arce, ancien allié devenu rival, Cochabamba retient son souffle. En attendant un dénouement de cette crise politique, le spectre d’une catastrophe économique et alimentaire se fait chaque jour plus pressant pour le “grenier” des Boliviens.