Dans un nouveau rebondissement de la scène politique turque, des centaines de manifestants se sont rassemblés mercredi soir devant le Palais de Justice d’Istanbul. Au cœur de leur mobilisation : l’arrestation controversée d’Ahmet Özer, maire de l’arrondissement d’Esenyurt, accusé d’appartenance au PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. Une accusation que son parti, le CHP, première force d’opposition au parlement turc, dénonce avec force.
Selon des sources proches du dossier, l’arrestation serait basée sur un livre écrit par l’élu il y a plusieurs années. Une justification jugée bien mince par ses soutiens, qui promettent de réagir “de la manière la plus ferme”. Le rassemblement, qui comptait dans ses rangs le maire d’Istanbul en personne, Ekrem Imamoglu, a pris une nouvelle dimension quand les autorités ont nommé dans la soirée un administrateur pour remplacer le maire déchu.
Un “kayyoum” qui passe mal
Cette pratique, baptisée “kayyoum” en turc, est devenue fréquente ces dernières années pour écarter les maires pro-kurdes du sud-est du pays. Mais son application dans la plus grande ville de Turquie, bastion de l’opposition depuis 2019, a suscité une vague d’indignation. Le parti pro-kurde DEM, 3ème force au parlement, a appelé ses partisans à manifester, dénonçant “une atteinte à la volonté du peuple”.
L’opposition contre-attaque
Face à cette situation explosive, le CHP a convoqué une réunion d’urgence de ses instances dirigeantes ce jeudi à Ankara. Son président, Özgür Özel, appelle à un nouveau rassemblement cet après-midi devant la mairie d’arrondissement d’Esenyurt, théâtre de l’arrestation. Une mobilisation qui vise à défendre le Pr Ahmet Özer, un universitaire reconnu et très apprécié localement depuis son élection en mars dernier.
La municipalité d’Esenyurt ne se laissera pas faire. Nous défendrons la démocratie jusqu’au bout !
– Un militant du CHP
Erdogan tend la main aux Kurdes
Paradoxalement, cette arrestation intervient au moment même où le président Recep Tayyip Erdogan confirme sa volonté de “tendre la main aux frères kurdes”. Un geste fort, alors que son allié du parti nationaliste MHP a récemment invité le chef historique du PKK, Abdullah Öcalan, à “renoncer au terrorisme” devant le parlement, en échange d’une possible libération anticipée.
Abdullah Öcalan, condamné à perpétuité, est détenu à l’isolement sur une île au large d’Istanbul depuis 1999. Son sort cristallise les tensions entre le pouvoir turc et la minorité kurde depuis des décennies. L’ouverture suggérée par Erdogan et le MHP pourrait marquer un tournant, mais elle semble difficilement compatible avec la répression en cours contre les élus kurdes comme Ahmet Özer.
Quel avenir pour la démocratie turque ?
Cette affaire jette une lumière crue sur les défis auxquels fait face la démocratie turque. Comment concilier la lutte antiterroriste et le respect de l’état de droit ? Comment intégrer la minorité kurde sans attiser les tensions ? Comment préserver l’expression démocratique locale face aux ingérences du pouvoir central ?
Autant de questions brûlantes qui agitent la société turque, à l’approche des élections cruciales de 2023. Les prochains mois s’annoncent décisifs pour l’avenir du pays, tiraillé entre l’autoritarisme et les aspirations démocratiques de sa population. Loin des intrigues politiques de la capitale, c’est dans les rues d’Istanbul et d’Esenyurt que se joue peut-être l’avenir de la Turquie.