C’est un procès hors norme qui vient de s’achever à la cour d’assises de l’Aube. Bernard Pallot, 78 ans, était jugé pour l’assassinat de son épouse Suzanne, atteinte de multiples pathologies invalidantes. Pourtant, à l’issue des débats, l’accusé a été acquitté. Les jurés ont estimé que cet acte, aussi violent soit-il, relevait davantage du geste d’amour désespéré que du meurtre de sang-froid.
Un drame conjugal qui interroge sur la fin de vie
L’histoire de Bernard et Suzanne Pallot soulève de profondes questions éthiques. Marié depuis 1969, le couple semblait uni et complice. Mais ces dernières années, la santé de Suzanne s’est dramatiquement dégradée. Maladie de Carrington, ostéoporose, fractures à répétition… Son quotidien n’était que souffrances, comme l’a expliqué Bernard lors de son procès :
“Sa vie n’était plus supportable. Elle ne voulait plus retourner à l’hôpital, elle s’y sentait mal entourée. Je m’occupais d’elle au quotidien, je ne pouvais plus la voir ainsi.”
Bernard Pallot
Pourtant, la loi française interdit formellement l’euthanasie et le suicide assisté. Face au refus de sa femme d’être à nouveau hospitalisée, Bernard a donc pris une décision radicale. Le 11 octobre 2021, il tente d’abord de lui injecter du cyanure, sans succès. Puis, “dans l’improvisation” selon ses dires, il l’étrangle pendant de longues minutes avec un fil électrique.
Un mot laissé par la défunte
Près du corps sans vie de Suzanne, les enquêteurs ont retrouvé un message troublant, signé de sa main : “Je demande à mon mari de me soulager définitivement des souffrances incurables que je supporte”. Pour la défense, il s’agit d’une preuve que la septuagénaire était consentante et consciente, malgré son état de santé précaire.
Lors de son interrogatoire, Bernard Pallot a assuré avoir agi par amour, à la demande expresse de son épouse. Il reconnaît la gravité de son geste vis-à-vis de la loi, mais estime avoir tenu ses promesses conjugales. À un ami, il aurait même confié : “En France, on ne peut pas euthanasier les gens qui souffrent, mais on le fait pour les animaux”.
Un acte “interdit par la loi”, pour l’accusation
Mais pour l’avocat général, cet “assassinat présenté comme un geste d’amour est interdit par la loi”. Selon lui, on ne peut s’arroger le droit de tuer, quelles que soient les circonstances. Il a requis huit ans de prison à l’encontre de Bernard Pallot, estimant qu’il avait agi “de façon déterminée, froide et violente”.
La défense a tenté de faire citer comme témoin Olivier Falorni, rapporteur d’un projet de loi sur la fin de vie examiné à l’Assemblée avant sa dissolution. Mais le député a décliné, ne souhaitant pas “faire pression sur la cour”. Pour Me Frédéric Verra, avocat de l’accusé, si l’euthanasie était légale, “Bernard Pallot n’aurait pas étranglé sa femme avec un fil électrique”.
“Je ne suis pas un assassin”
Tout au long de son procès, Bernard Pallot a clamé son innocence. “Je ne suis pas un assassin”, a-t-il martelé avant que la cour ne se retire pour délibérer. “Si je suis condamné, on aura confondu l’amour et la haine.” Son fils unique, lui, a affirmé au juge d’instruction que son père avait agi “par amour, par compassion”.
Finalement, les jurés ont tranché en faveur de l’accusé. Après plusieurs heures de délibéré, ils l’ont déclaré non coupable. Une décision rare qui ne manquera pas de relancer le débat sur la fin de vie en France.
Le débat sur l’euthanasie relancé
Soulagé par le verdict, Bernard Pallot a livré un message poignant à sa sortie du tribunal. Pour lui, ce procès “témoigne de l’insuffisance de la loi qui nous met dans des situations difficiles, nous les particuliers”. Il appelle à une évolution rapide de la législation : “Il faut absolument que la loi évolue. On est dans le pays des droits de l’homme normalement.”
Son avocat, Me Frédéric Verra, a renchéri en affirmant que le droit de mourir dans la dignité était “une liberté que nous n’avons pas encore” en France. Ce procès hors norme pourrait bien faire bouger les lignes et accélérer le calendrier politique sur cette question éthique épineuse.
En attendant, les proches des personnes en fin de vie n’ont guère d’autre choix que de les accompagner du mieux possible, parfois au prix de dilemmes moraux déchirants. Le cas de Bernard Pallot illustre toute la complexité et la détresse de ces situations limites, où l’amour se heurte à la loi. Son acquittement apporte peut-être un début de réponse, mais le chemin vers une législation apaisée sur la fin de vie reste encore long et semé d’embûches.