Un vent de rébellion souffle sur le monde des affaires en Espagne. Le gouvernement de gauche du Premier ministre Pedro Sánchez vient de céder sous la pression du patronat en renonçant à pérenniser l’impôt exceptionnel sur les groupes énergétiques. Une décision lourde de conséquences pour les finances publiques et le secteur de l’énergie.
Le bras de fer entre l’exécutif et le patronat
Tout avait pourtant bien commencé. En début d’année, le gouvernement Sánchez avait instauré une taxe exceptionnelle sur les grands groupes bancaires et énergétiques afin de financer des mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages, mis à mal par la guerre en Ukraine. Une « surtaxe » censée rapporter près de 2,86 milliards d’euros aux caisses de l’État espagnol selon le ministère du Budget.
Mais c’était sans compter sur la fronde des entreprises concernées. Selon des sources proches du dossier, les géants de l’énergie comme Repsol et Cepsa ont tout bonnement gelé leurs projets d’investissement dans l’hydrogène vert en Espagne en représailles. Une menace prise très au sérieux par l’exécutif qui ambitionne de faire du pays un leader mondial des énergies renouvelables.
L’impossible compromis politique
Pour couronner le tout, le projet de pérennisation de la taxe s’est heurté à un mur au parlement. Les partis régionaux comme le Parti nationaliste basque (PNV) et le parti indépendantiste catalan Junts per Catalunya ont fait savoir leur hostilité à cette mesure fiscale jugée « discriminatoire » envers le secteur de l’énergie. Un revers cuisant pour le gouvernement Sánchez qui avait absolument besoin de leur soutien pour obtenir une majorité.
Il faut dire que le contexte politique n’est guère favorable au Premier ministre socialiste. Son accord de coalition avec le parti d’extrême-gauche Sumar l’an dernier prévoyait justement de rendre permanent cet impôt exceptionnel. Un engagement qu’il sera bien difficile à tenir désormais.
Les banques trinquent, l’énergie trinque
Au final, l’exécutif espagnol a dû se résoudre à un compromis bancal. Si la taxe exceptionnelle sur les groupes énergétiques ne sera pas prolongée au-delà de 2024 comme initialement prévu, celle sur les banques en revanche est maintenue. De quoi satisfaire en partie le patronat, mais au prix d’un renoncement douloureux pour les finances publiques.
Car les conséquences de cette décision risquent d’être lourdes à plus d’un titre. Non seulement le gouvernement se prive d’une manne financière précieuse, mais il envoie aussi un signal peu encourageant aux investisseurs étrangers sur la stabilité et la prévisibilité de la fiscalité espagnole.
Quel avenir pour la transition énergétique ?
Plus grave encore, ce recul pourrait bien compromettre les ambitions de l’Espagne en matière de transition énergétique. Sans les investissements massifs des grands groupes dans les énergies propres comme l’hydrogène vert, difficile d’imaginer comment le pays pourra tenir ses engagements climatiques et devenir ce fameux leader des renouvelables dont rêve Pedro Sánchez.
Ce n’est pas en changeant sans cesse les règles du jeu qu’on encourage les entreprises à miser sur la transition écologique.
Une source proche du patronat.
Une chose est sûre, ce bras de fer fiscal laissera des traces. La confiance est sérieusement ébranlée entre le monde des affaires et le gouvernement de gauche, qui peine décidément à concilier ses promesses sociales et environnementales avec les réalités économiques. À trop vouloir taxer les « superprofits », on finit par tuer la poule aux œufs d’or de la transition énergétique.
Un avenir fiscal incertain
Reste à savoir maintenant ce qu’il adviendra de cet impôt exceptionnel sur les banques. Sera-t-il maintenu malgré l’opposition farouche du secteur financier ? Ou finira-t-il lui aussi par être sacrifié sur l’autel du réalisme économique et des rapports de force politiques ? L’avenir fiscal de l’Espagne n’a jamais semblé aussi incertain.
Une seule certitude dans cette affaire : le gouvernement Sánchez marche sur des œufs. Pris en étau entre ses promesses de campagne, les revendications de son allié d’extrême-gauche et la fronde du patronat, il semble condamné à louvoyer et à naviguer à vue. Au risque de donner le sentiment de renier ses engagements et de céder aux pressions des puissants.
Un jeu d’équilibriste périlleux qui pourrait bien lui coûter cher politiquement à l’avenir. Car les Espagnols ne sont pas dupes. Ils attendent des actes forts et cohérents pour soutenir leur pouvoir d’achat et accélérer la transition écologique. Pas des revirements et des compromissions en fonction des rapports de force du moment.
Le feuilleton de la taxe sur les groupes énergétiques n’est sans doute pas terminé. Mais il illustre déjà toute la difficulté à réformer en profondeur un modèle fiscal et économique à bout de souffle, sans une volonté politique claire et assumée. L’Espagne, comme tant d’autres pays européens, devra bien trancher un jour entre les intérêts des multinationales et l’intérêt général. En attendant, c’est la transition énergétique qui trinque.