Un projet de paiements internationaux novateur, baptisé mBridge, suscite actuellement des remous dans les hautes sphères financières. Soutenu par la Chine, les Émirats arabes unis, la Thaïlande et Hong Kong, ce système alternatif vise à révolutionner les transferts monétaires transfrontaliers. Mais alors que certains y voient un outil d’inclusion prometteuse, d’autres s’inquiètent de ses implications géopolitiques, en particulier à Washington.
mBridge : un projet ambitieux qui divise
Lancé par un consortium de banques centrales et bénéficiant du soutien du Centre d’innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI), mBridge se présente comme une solution aux défis de longue date rencontrés par le secteur bancaire traditionnel. Grâce à la technologie des registres distribués, il promet des transactions plus rapides et moins coûteuses, en éliminant le recours aux banques correspondantes comme intermédiaires.
Pour ses partisans, mBridge offre de nombreux avantages, notamment la possibilité pour les pays de régler leurs paiements dans leur propre monnaie plutôt qu’en dollars américains. Lors d’un test réalisé en février, un transfert entre Abu Dhabi et Pékin n’aurait ainsi pris que 10 secondes. Le projet permettrait également de mieux servir les régions actuellement mal desservies par le réseau bancaire international.
De nombreux pays du Moyen-Orient, d’Asie centrale, d’Afrique et même d’Amérique du Sud sont très enthousiastes quant à la manière dont ils peuvent utiliser mBridge.
Li Shu-Pui, conseiller du gouverneur de la banque centrale des Émirats arabes unis
La BRI elle-même qualifie mBridge de « bien public », soulignant son potentiel en matière d’inclusion financière. Mais tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. Aux États-Unis et en Europe, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les risques géopolitiques d’un tel système, qui reposerait sur une technologie développée par la Chine.
Washington s’inquiète pour son influence
Les récents propos du président russe Vladimir Poutine, évoquant un système de paiement alternatif mené par les BRICS, ont ravivé les craintes quant à une potentielle remise en cause de l’influence américaine sur la finance mondiale. Si la réaction des autres membres des BRICS fut tiède, ces déclarations ont toutefois braqué les projecteurs sur des initiatives comme mBridge.
Certains responsables politiques occidentaux redoutent que ce projet ne serve de tremplin à des pays cherchant à contourner les sanctions économiques imposées par les États-Unis et l’Europe. Dès 2022, des experts avaient mis en garde contre le risque de voir mBridge utilisé par des adversaires de Washington pour échapper à son emprise géopolitique.
[mBridge] sera probablement exploité non seulement par des nations à la recherche d’une infrastructure de paiement plus efficace, mais aussi par des adversaires des États-Unis cherchant des stratégies pour contourner l’influence géopolitique américaine, comme la Chine.
Yaya J. Fanusie, directeur des politiques au Crypto Council for Innovation
Vers une dédollarisation de l’économie ?
Ces inquiétudes font écho aux efforts déployés par certains pays, au premier rang desquels la Chine, pour réduire le rôle du dollar dans les échanges internationaux. Lors du récent sommet des BRICS, Vladimir Poutine a ainsi affirmé que près de 95% du commerce entre la Russie et la Chine s’effectuait désormais en monnaie locale.
Si le projet mBridge venait à se concrétiser à grande échelle, il pourrait donc bel et bien bousculer l’ordre financier international. Reste à savoir quelle sera la réaction des puissances occidentales face à cette perspective. La BRI, qui chapeaute actuellement le projet via son Centre d’innovation, se retrouve en tout cas au cœur d’un débat brûlant.
L’avenir de mBridge en question
Selon des informations de Bloomberg, l’implication future de la BRI dans mBridge aurait été remise en question lors d’une réunion à huis clos à Washington fin octobre. Des hauts responsables de la banque et des dirigeants financiers y auraient évoqué l’éventualité de mettre un terme au projet, sans qu’une décision définitive ne soit prise.
Contactée, la BRI n’a pas souhaité commenter ces informations. L’institution basée à Bâle se retrouve donc face à un dilemme épineux : poursuivre un projet porteur d’innovation et d’inclusion, au risque de froisser ses partenaires occidentaux, ou céder aux pressions géopolitiques quitte à renoncer à ce qu’elle qualifie elle-même de « bien public ».
Une chose est sûre : le destin de mBridge sera scruté de près par tous les acteurs du système financier international. Car au-delà d’un simple projet de paiements transfrontaliers, c’est bien la question de l’équilibre des pouvoirs dans un monde en pleine mutation qui se joue en coulisses. L’issue de ce bras de fer discret mais intense pourrait façonner le visage de la finance de demain, et avec lui les rapports de force géopolitiques du XXIe siècle.