C’est un procès historique qui s’achève ce mercredi à Paris. Eugène Rwamucyo, ex-médecin rwandais de 65 ans, est jugé pour son rôle présumé dans l’un des pires drames du XXème siècle : le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Alors que le verdict est sur le point de tomber, l’accusé a tenu à réaffirmer son innocence une dernière fois face à la cour.
« Je vous assure que je n’ai pas ordonné l’achèvement des survivants ou laissé tuer des survivants », a déclaré M. Rwamucyo d’un ton grave, pesant chaque mot. Visiblement ému, il a ajouté : « Je comprends la souffrance de ceux qui cherchent encore les leurs, mais je ne peux les aider. » Des paroles qui résonnent douloureusement dans ce prétoire chargé d’histoire et de chagrin.
Un procès emblématique
Eugène Rwamucyo comparaît depuis plusieurs semaines devant la cour d’assises de Paris. Il est accusé de crimes parmi les plus graves qui soient : génocide, complicité de génocide, crimes contre l’humanité et complicité de crimes contre l’humanité, ainsi que d’entente en vue de la préparation de ces crimes. Des chefs d’accusation terribles, à la mesure de l’horreur vécue par le Rwanda il y a 29 ans.
Lundi, le ministère public a requis la lourde peine de 30 ans de réclusion criminelle à son encontre. « Nous vous demandons de ne pas permettre à Eugène Rwamucyo d’échapper à ses responsabilités », a martelé l’avocat général Nicolas Peron lors d’un réquisitoire fleuve de près de 7 heures. Une peine à la hauteur de l’importance symbolique de ce procès, le huitième du genre en France.
Les lourdes accusations
Selon l’accusation, l’ex-médecin aurait activement participé à la machine génocidaire qui a fait plus de 800 000 morts parmi la minorité tutsi entre avril et juillet 1994. Il est notamment reproché à M. Rwamucyo d’avoir attisé la haine envers les Tutsi lors d’un discours enflammé à l’université de Butare le 14 mai 1994, en présence du sinistre Premier ministre du gouvernement intérimaire de l’époque, Jean Kambanda.
Mais les accusations ne s’arrêtent pas là. Des témoins affirment que le Dr Rwamucyo, alors enseignant à l’université, aurait directement participé à l’exécution de blessés tutsi et à la dissimulation de corps dans des charniers. Pour le ministère public, il ne fait aucun doute qu’« Eugène Rwamucyo a permis la continuité du crime de génocide en effaçant les preuves et en fournissant la logistique nécessaire ».
On peut tuer avec des mots.
Nicolas Peron, avocat général
Un homme seul face à son destin
Face à ce réquisitoire accablant, les avocats d’Eugène Rwamucyo ont plaidé l’acquittement, affirmant que les preuves étaient insuffisantes pour le condamner. Un combat difficile tant les témoignages et documents versés au dossier dessinent le portrait d’un homme ayant pleinement adhéré à l’idéologie génocidaire des extrémistes hutu.
Arrêté en France en 2010 alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le Rwanda, Eugène Rwamucyo risque la réclusion criminelle à perpétuité. Aujourd’hui âgé de 65 ans, il sait que le verdict qui sera rendu dans quelques heures scellera définitivement son sort.
L’ombre du génocide
Au-delà du destin d’un homme, c’est toute l’histoire d’un pays meurtri qui ressurgit à travers ce procès. Près de trois décennies après les faits, le génocide des Tutsi continue de hanter le Rwanda. La petite nation d’Afrique de l’Est tente de se reconstruire malgré le poids écrasant de ce traumatisme.
Les procès comme celui d’Eugène Rwamucyo sont essentiels dans ce processus de guérison nationale. Ils permettent d’établir les responsabilités, de rendre une forme de justice aux victimes et de transmettre l’histoire aux nouvelles générations. Un travail de mémoire douloureux mais nécessaire.
Un devoir de mémoire universel
En jugeant les acteurs du dernier génocide du XXe siècle, aussi loin de ses frontières, la France participe à ce devoir de mémoire et réaffirme l’universalité de la lutte contre les crimes de masse. Car au-delà du Rwanda, c’est un combat pour l’humanité toute entière qui se joue.
Il est 16h30 quand la cour se retire pour délibérer. Dans quelques heures, on saura si Eugène Rwamucyo est reconnu coupable ou s’il ressortira libre du palais de justice. Mais dans les deux cas, le chemin sera encore long pour panser les plaies laissées par la folie génocidaire qui a frappé le Rwanda il y a 29 ans. Le verdict n’effacera pas la douleur des survivants, mais il est une étape cruciale dans le long et difficile chemin de la mémoire et de la reconstruction.