Quatre jours après des élections législatives entachées d’irrégularités selon l’opposition, le parquet géorgien a annoncé mercredi l’ouverture d’une enquête pour “falsification présumée” du scrutin. Une annonce qui intervient dans un contexte de vives tensions politiques en Géorgie, cette ex-république soviétique du Caucase tiraillée entre aspirations pro-européennes et influence de Moscou.
La présidente convoquée pour livrer des “preuves”
Selon le communiqué du parquet, la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, figure pro-européenne en rupture avec le gouvernement, est “convoquée” ce jeudi. Très critique des résultats donnant une large victoire au parti au pouvoir Rêve géorgien, elle “est susceptible de détenir des preuves concernant une éventuelle falsification des élections”, estime le parquet.
Dès l’annonce des résultats samedi soir, Mme Zourabichvili a dénoncé à haute voix une élection “volée” par Rêve géorgien. Dans un entretien accordé lundi, elle a affirmé qu’un système “sophistiqué” de fraudes suivant “une méthodologie russe” avait permis au parti de l’emporter, évoquant notamment des “achats de voix” et des “pressions” sur les électeurs.
L’opposition conteste les résultats et crie à la fraude
Du côté de l’opposition pro-européenne, c’est la consternation. Les principaux partis rejettent les résultats officiels et dénoncent de nombreuses irrégularités dans le processus électoral. Mikheil Saakachvili, ex-président géorgien et figure de proue de l’opposition actuellement emprisonné, a appelé ses partisans à manifester pacifiquement contre ce qu’il qualifie de “coup d’État électoral”.
“Rêve géorgien a volé cette élection de manière éhontée, en utilisant intimidation, chantage et achats de voix à grande échelle”
– Nika Melia, leader du Mouvement national uni, principal parti d’opposition
Face à ces accusations, le gouvernement se veut rassurant. Le Premier ministre Irakli Garibachvili a promis une enquête “transparente” et un nouveau comptage des voix a été ordonné dans 14% des bureaux, sélectionnés au hasard. Mais pour l’opposition, ces mesures sont loin d’être suffisantes.
La communauté internationale s’inquiète, Moscou dément toute ingérence
Les allégations de fraudes ont suscité de vives réactions à l’international. Plusieurs chancelleries européennes et Washington ont explicitement demandé l’ouverture d’enquêtes, s’inquiétant d’un “recul de la démocratie” en Géorgie.
“Les États-Unis sont alarmés par le récent recul démocratique en Géorgie et appellent le gouvernement à mener une enquête transparente sur toutes les irrégularités électorales”
– Antony Blinken, secrétaire d’État américain
Le Kremlin a pour sa part rejeté des “accusations infondées” et nié toute ingérence dans le scrutin géorgien. Mais beaucoup craignent une dérive autoritaire et un rapprochement avec Moscou du parti Rêve géorgien, qui domine la vie politique du pays depuis 2012.
Tensions autour de l’orientation stratégique de la Géorgie
Officiellement, le gouvernement géorgien maintient le cap de l’intégration euro-atlantique, avec l’objectif de rejoindre l’UE et l’OTAN inscrit dans la Constitution. Mais ses détracteurs l’accusent de multiplier les gestes en faveur de Moscou.
Le gel du processus d’adhésion à l’UE décidé par Bruxelles au printemps, en protestation contre une loi controversée sur les “agents étrangers”, et les sanctions américaines visant des responsables géorgiens pour “répression” de l’opposition illustrent les tensions actuelles.
Ancien ambassadeur de Géorgie à l’UE, Salomé Zourabichvili incarne la ligne pro-occidentale et n’a pas mâché ses mots contre le gouvernement, malgré son rôle largement protocolaire. Sa convocation par le parquet s’annonce comme un nouveau test pour la fragile démocratie géorgienne, qui avait connu sa “Révolution des Roses” en 2003.
Connue pour son franc-parler, la présidente pourrait livrer des révélations embarrassantes pour le pouvoir en place. Mais au-delà de l’enquête sur les fraudes présumées, c’est bien l’avenir géopolitique de ce petit pays coincé entre Russie, Turquie et Iran qui se joue. Entre tentation autoritaire et ancrage démocratique, la Géorgie est plus que jamais à la croisée des chemins.