L’armée israélienne traverse une crise du recrutement d’une ampleur sans précédent. Après plus d’un an d’affrontements continus sur de multiples fronts, de la bande de Gaza jusqu’au Liban, Tsahal peine à trouver de nouveaux soldats tout en puisant dans ses réserves jusqu’à l’épuisement. Un constat alarmant qui soulève des questions déchirantes au sein de la société israélienne.
Des réservistes à bout de forces
Depuis le début du conflit le 7 octobre 2023, ce sont près de 300 000 réservistes qui ont été rappelés sous les drapeaux selon des sources militaires, dont plus de 18% avaient pourtant dépassé la limite d’âge fixée à 40 ans. Engagés dans une guerre d’usure à Gaza contre le Hamas et au Liban face au Hezbollah, ces soldats de l’ombre enchaînent les périodes au front, parfois pendant plus de six mois d’affilée, au détriment de leur vie familiale et professionnelle.
“Nous sommes en train de couler.”
Ariel Seri-Levy, réserviste israélien
Sur les réseaux sociaux, les témoignages poignants affluent pour dénoncer des rotations à rallonge qui brisent les hommes et les familles. “Nous sommes en train de couler”, a ainsi lancé Ariel Seri-Levy dans un message devenu viral, après avoir été mobilisé pas moins de quatre fois en un an. Un autre raconte avoir perdu son travail à force d’absence, malgré les compensations minimales versées par l’État.
La question ultra-sensible des exemptions
Pour soulager les effectifs, les regards se tournent de plus en plus vers la communauté ultra-orthodoxe, qui bénéficie d’exemptions partielles controversées. Ces juifs “haredim”, consacrés à l’étude des textes sacrés, représentent 14% de la population soit près de 1,3 million de personnes, et 66 000 hommes en âge de servir échappent ainsi à la conscription. Un système dérogatoire qui a été retoqué en juin par la Cour suprême, ouvrant un débat brûlant.
“Il n’y a pas d’opposition entre étude de la Torah et service militaire, les deux vont ensemble.”
Tehila Elitzour, universitaire et mère de réservistes
Si les partis haredim, incontournables dans la coalition au pouvoir, exigent de pérenniser leur régime d’exemption, une fronde monte chez ceux qui portent seuls le poids des combats. Plus de 2000 femmes de réservistes ont ainsi signé une lettre ouverte pour demander “d’alléger le poids de ceux qui servent”. “Il n’y a pas d’opposition entre étude de la Torah et service militaire, les deux vont ensemble”, y défend Tehila Elitzour, mère de soldats.
Le prix du sang d’une guerre sans fin
Derrière ces tensions, le spectre des pertes subies depuis un an révèle l’ampleur du traumatisme national. Selon un décompte officiel, 771 soldats sont tombés et 4500 ont été blessés sur les différents champs de bataille, de la bande de Gaza aux frontières libanaises. Un bilan qui n’épargne pas les volontaires ayant renoncé à leur exemption, puisque six d’entre eux ont perdu la vie en une semaine fin octobre.
“Le problème, c’est mon fils chéri Yeonatan mort à Gaza il y a 10 mois, mon fils merveilleux Itamar qui combat en ce moment dans Gaza, mon fils dévoué Elad, qui va bientôt entrer dans Gaza…”
Hagaï Luber, père endeuillé
Dans une société aussi militarisée, chaque deuil est vécu comme un séisme. “Le problème, c’est mon fils chéri Yeonatan mort à Gaza il y a 10 mois, mon fils merveilleux Itamar qui combat en ce moment dans Gaza, mon fils dévoué Elad, qui va bientôt entrer dans Gaza…”, énumère ainsi Hagaï Luber, metteur en scène meurtri, dans une lettre ouverte déchirante adressée à un élu préconisant plus d’exemptions.
Israël peut-il tenir sans fin ?
Au-delà des innombrables drames intimes, c’est la capacité même d’Israël à poursuivre son effort de guerre qui est aujourd’hui en question. Malgré leur sens du devoir, de nombreux réservistes estiment avoir atteint leurs limites. “C’est un mérite de servir mon pays et tant que je peux le faire, je continuerai. Mais surtout, n’oublions pas que c’est la guerre et que nous manquons de soldats”, résume ainsi David Zenou, rabbin de 52 ans mobilisé plus de 250 jours cette année.
“Il faut terminer cette guerre car nous n’avons plus de soldats.”
Un réserviste israélien
Beaucoup appellent désormais à des concessions pour mettre un terme aux combats et soulager la pression sur les troupes, à l’image d’Ariel Seri-Levy pour qui “il faut terminer cette guerre car nous n’avons plus de soldats”. Mais dans le contexte hautement inflammable du conflit israélo-palestinien, nulle issue n’est en vue. Tsahal devra-t-elle un jour affronter ses propres limites ? Cette question, impensable il y a peu, hante désormais une société israélienne rongée par un conflit qui semble ne jamais vouloir finir.