Depuis le 3 juillet dernier, une nouvelle réglementation européenne oblige les fabricants à fixer les bouchons aux bouteilles en plastique. L’objectif est louable : lutter contre la pollution en s’assurant que bouchons et bouteilles suivent la même voie de recyclage. Mais cette mesure, qui semble anodine au premier abord, provoque une onde de choc auprès des associations caritatives. En effet, celles-ci collectaient jusqu’à présent ces petits morceaux de plastique pour financer leurs actions solidaires. Un modèle économique et social aujourd’hui remis en cause.
Un geste solidaire devenu plus complexe
Appelés “bouchons solidaires”, ces opercules en plastique étaient facilement collectés via des points de collecte dédiés. Remis ensuite à des associations comme “Les Bouchons d’Amour”, ils étaient revendus à des entreprises de recyclage. Les fonds ainsi récoltés permettaient de financer des projets caritatifs, notamment l’achat de matériel pour les personnes en situation de handicap.
Ça ne doit pas empêcher de les récupérer parce que c’est le geste à faire
Christian, fidèle contributeur
Mais avec l’arrivée des bouchons attachés, beaucoup plus difficiles à détacher des bouteilles, la donne a changé. Il faut désormais de la force et de l’obstination pour les séparer et pouvoir continuer à alimenter les points de collecte. Un geste solidaire devenu plus complexe, qui décourage bon nombre de contributeurs.
Une chute drastique des dons
Résultat, les associations constatent une baisse significative des volumes collectés, en particulier dans les points de collecte des supermarchés. D’après une responsable d’un magasin partenaire, la quantité de bouchons récupérés a diminué de moitié depuis le passage aux bouchons solidaires.
Cette chute des dons a un impact direct sur les finances des associations et leur capacité à mener des actions solidaires. Le président national des “Bouchons d’Amour” s’alarme :
Alors qu’on aidait à hauteur de 300 000 euros maintenant, on ne pourra aider qu’à hauteur de 150 000 euros
Guy Marquillie, président national de l’association “Les Bouchons d’Amour”
Une collecte élargie à d’autres bouchons
Face à cette situation préoccupante, les associations tentent de trouver des solutions. L’une d’elles consiste à rappeler que la collecte ne se limite pas aux bouchons de bouteilles d’eau. Yanik Gombert, présidente de l’antenne de Haute-Vienne des “Bouchons d’Amour”, cite en exemple :
- Les bouchons de lessive
- Les couvercles de pots de pâte à tartiner
- Les capuchons de bombes de crème chantilly
Le critère principal est la présence du logo “recyclable”, le fameux triangle fléché, avec un chiffre 2, 4 ou 5 à l’intérieur. Une manière d’élargir les sources d’approvisionnement, en sensibilisant le grand public à la diversité des objets du quotidien qui peuvent être recyclés de manière solidaire.
Un modèle bouleversé, des aides concrètes en jeu
Malgré ces efforts d’adaptation, force est de constater que le modèle économique de ces associations est profondément bouleversé. Après une période faste, les “Bouchons d’Amour” n’ont collecté que 450 tonnes de bouchons l’an dernier au niveau national, et la tendance devrait se confirmer en 2024.
Pourtant, l’argent ainsi récolté finance des actions très concrètes, vitales pour de nombreux bénéficiaires. L’association a par exemple contribué à hauteur de 1000 euros à l’achat d’un fauteuil roulant pour Damien Bonillo, un équipement d’une valeur de 30 000 euros. En situation de handicap, il témoigne :
Quand on est en situation de handicap, on est quand même en situation de précarité, donc, on a besoin de ce genre d’association
Damien Bonillo, bénéficiaire
L’enjeu est donc de taille. Derrière ces petits bouchons colorés se cache un véritable mécanisme de solidarité et d’entraide, qui a fait ses preuves depuis près de 20 ans. Un modèle aujourd’hui fragilisé par une réglementation qui, bien que partie d’une bonne intention, n’avait peut-être pas anticipé toutes ses conséquences.
Il est urgent de trouver des solutions pour pérenniser ces filières de recyclage solidaire. Cela passera sans doute par une meilleure sensibilisation du public, mais aussi par un dialogue avec les pouvoirs publics et les industriels pour imaginer des dispositifs techniques et réglementaires adaptés. Car derrière chaque bouchon collecté, c’est un peu d’espoir et de dignité qui se joue pour les plus fragiles.